Florian Bohême, Français établi au Cambodge, pays dans lequel il travaille mais aussi s’engage, comme il le faisait en France : élu conseiller des Français de l’étranger depuis 2021, il est également élu de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et président de la Commission des Affaires sociales et du monde combattant, de l’emploi et de la formation de celle-ci. Initiateur des premières Assises de la protection sociale, nous l’avons interrogé à la veille de la restitution des Assises et de la session d’octobre 2025 de l’AFE.

Depuis plusieurs mois, les Assises de la protection sociale se déroulent au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Pourriez-vous tout d’abord expliquer quelles sont les missions, attributions et composition de cette Assemblée, peu connue du grand public ?

L’Assemblée des Français de l’étranger est une institution consultative traditionnnellement désignée comme la représentation directe des Français de l’étranger. Conformément à la loi du 22 juillet 2013, elle a pour mission de conseiller le Gouvernement sur toutes les questions intéressant les Français établis hors de France.

Elle réunit 90 conseillères et conseillers élus par leurs pairs à travers le monde, issus des circonscriptions consulaires. Ces élus, aux côtés des parlementaires représentant les Français de l’étranger, sont la voix institutionnelle de nos communautés à l’étranger.

L’AFE, c’est en quelque sorte le Parlement consultatif des Français de l’étranger : elle se réunit deux fois par an à Paris, examine les politiques publiques, émet des avis et des propositions sur l’éducation, la santé, la protection sociale, la sécurité, l’emploi ou encore la vie associative.

Six commissions siègent au sein de l’AFE, vous présidez d’ailleurs celle intitulée « Commission des Affaires sociales et du monde combattant, de l’emploi et de la formation ». À ce sujet, pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent les affaires sociales à l’étranger et si elles représentent le premier budget consacré aux Français de l’étranger ?

Les affaires sociales constituent sans doute le domaine le plus concret de l’action publique à destination des Français établis hors de France. Elles englobent la protection, l’accompagnement et la solidarité : les aides sociales directes ou indirectes, les bourses scolaires et dispositifs d’inclusion, ainsi que la protection santé via la Caisse des Français de l’étranger (CFE).

Ces trois champs recouvrent d’ailleurs les trois grands thèmes des Assises :

Les aides sociales directes et indirectes, pour mieux répondre aux besoins de nos compatriotes en situation de précarité ;

Les bourses scolaires et l’accompagnement des élèves en situation de handicap (AESH), parce que n’oublions jamais, qu’ici ou à l’autre bout du monde, l’école est d’abord un pilier de l’égalité républicaine françaises ;

L’avenir de la CFE, garante d’une couverture santé solidaire et pérenne.

Tous ces sujets sont couverts dans nos travaux de la commission des Affaires sociales. Mais durant ce mandat, nous avons ouvert d’autres chantiers, comme celui d’un dialogue approfondi avec les Caisses de retraites ou encore le combat mené pour lutter contre les violences intra-familiales.

Si je devais résumer notre travail au sein de la Commission des Affaires sociales, c’est de mettre l’humain au centre des politiques publiques et ne laisser personne au bord de la route.

Sur le plan budgétaire, oui, vous avez raison,  les bourses scolaires représentent plus de 105 millions d’euros en 2025. Si l’on considère les crédits directement affectés aux Français de l’étranger, il s’agit probablement du premier poste budgétaire.

Mais au-delà des chiffres, ce budget traduit avant tout la volonté de la République d’assurer la continuité de ses principes – Liberté, Égalité, Fraternité – au-delà de ses frontières. Une fois que je dis cela, il y’a la réalité financière du moment et c’est là où ces Assises sont utiles pour proposer des évolutions des différents dispositifs au regard de la situation actuelle.

Vous êtes l’initiateur de ces Assises : à quel besoin répondent-elles ? Qui sont les participants ? Quelle est la méthodologie de travail ? Quels sont les résultats attendus ?

Depuis des années, de nombreux Français établis à l’étranger expriment le sentiment que les dispositifs de protection sociale sont devenus trop complexes, trop rigides ou déconnectés de la réalité du terrain. Nous l’avons vu particulièrement à la sortie du COVID-19 ou après des semaines de soutien accru de l’Etat (et tant mieux !), tout s’est arrêté presque du jour au lendemain.

C’est pourquoi, lorsqu’ai écrit une tribune sur la nécessité de Faire France Ensemble et de proposer ces Assises de la Protection sociale des Français de l’étranger, j’ai rapidement été rejoint par plus de 140 conseillères et conseillers des Français de l’étranger qui se sont mobilisés pour ces Assises. Il aura fallu attendre deux ans mais nous les avons obtenues ! 

Dès le départ, j’ai souhaité que ces Assises soient ouvertes à tous – élus, associations, parlementaires, chercheurs, citoyens. Des conseils consulaires thématiques ont été organisés partout dans le monde. Un questionnaire mondial a recueilli plus de 11 000 réponses, et une plateforme d’analyse utilisant l’intelligence artificielle (Panoramics) a permis de simplifier les débats. 

Tout cela, il faut le dire, c’est d’abord une première. Première vraie consultation démocratique auprès des Français de l’étranger sur des thèmes les concernant directement, première fois que l’intelligence artificielle est mise au service des Français de l’étranger et de leur vie démocratique, mais aussi 1ère fois que la Commission Nationale du Débat Public est associé à une consultation citoyenne concernant le monde entier.

A la demande du Gouvernement (il s’agissait alors du Gouvernement Barnier), Laurent Saint-Martin, Ministre des Français de l’étranger a défini par lettre de mission les trois piliers de nos travaux :

  • 1. Les aides sociales – directes et indirectes ;
  • 2. Les bourses scolaires et l’inclusion des élèves en situation de handicap ;
  • 3. L’avenir de la CFE – un enjeu majeur de solidarité et de soutenabilité.

La méthodologie est assez simple et probablement imparfaite mais elle est sincère. D’abord un état des lieux mené par les administrations directement, ensuite la parole laissée aux citoyens pendant plusieurs mois, et enfin le retour vers le politique avec un vote formel de l’Assemblée des Français de l’étranger qui interviendra ce 15 octobre.

Dès maintenant, j’invite les lecteurs de la France et le Monde en Commun à prendre connaissance des premières propositions directement sur le site Internet des Assises : https://www.assemblee-afe.fr/les-assises-de-la-protection-sociale/

Notre ambition était claire : rapprocher l’administration des réalités vécues à l’étranger, donner la parole à celles et ceux qui vivent la politique sociale au quotidien, et démontrer qu’une démarche participative peut produire des propositions utiles, concrètes et consensuelles.

Les résultats attendus ne sont pas seulement des recommandations techniques : il s’agit de changer la méthode, de replacer la concertation et la transparence au cœur de la décision publique. Dison le clairement, le Ministère des Affaires étrangères a probablement du chemin à faire sur son lien direct avec ses communautés françaises à l’étranger. J’espère modestement que cet exercice démocratique puisse susciter des envies.

Quels sont les outils mis en place pour rendre pérennes les résultats ? Dans quelle mesure les échéances électorales pourraient-elles affecter ou accélérer la mise en place des recommandations issues des Assises ?

Nous clôturons ces Assises dans un contexte institutionnel très particulier : plus de gouvernement, et une dissolution qui peut arriver d’une minute à l’autre. Cette situation institutionnelle extraordinaire nous oblige à être créatifs et responsables.

J’ai proposé que le rapport final des Assises, qui synthétise six mois de concertation citoyenne, soit remis au prochain Gouvernement, ainsi qu’au Président du Sénat et à la Présidente de l’Assemblée nationale.

C’est une manière de se donner le maximum de chances pour que les propositions puissent déboucher sur des actes concrets. 

Nous prévoyons également la mise en place d’indicateurs de suivi pour mesurer, dans le temps, la mise en œuvre des propositions. Tout ne sera pas réalisable immédiatement, mais il est essentiel que les pouvoirs publics agissent en transparence : dire ce qu’ils peuvent faire, ce qu’ils ne peuvent pas faire, et pourquoi.

Certaines propositions citoyennes peuvent bousculer, et c’est tant mieux. C’est le rôle des décideurs publics d’y répondre.

Quant aux échéances électorales – élections sénatoriales en septembre 2026, renouvellement des conseillers des Français de l’étranger en 2026, et élections législatives en 2027 – elles peuvent, je l’espère, accélérer le processus.

Chaque campagne électorale est un moment d’échanges et d’engagements. Si des candidats, des partis ou des plateformes politiques reprennent ces propositions et s’en inspirent, je dis bravo.

Les Assises doivent continuer à vivre dans le débat public, car c’est ainsi que naissent les réformes.

Finalement, après 6 mois de concertation, je suis désormais convaincu que la protection sociale n’est pas un privilège, mais un droit universel, et que la République doit en garantir l’accès, où que vivent ses citoyens. Je l’ai souvent dit pendant ces Assises, il est temps de Faire France Ensemble. Cela passe forcément par une protection renforcée pour nos 3 millions de compatriotes dans le monde. 

                                                                                            Propos recueillis par Florence Baillon

Florian Bohême est le Président de la comission des affaires sociales à l’AFE et à l’initiative de ces premières assises. Propos recueillis par Florence Baillon

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