Le bras de fer entre la Chine et les États-Unis se tend. Le survol du ballon d’espionnage chinois au-dessus du territoire américain est, pour les Républicains de Washington, une preuve tangible que le régime de Pékin représente une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Deux discours s’opposent actuellement à Washington : les Républicains estiment que la Chine se moque bien d’avoir des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, et que sa priorité est d’espionner la puissance de frappe de l’armement américain. Pour les Démocrates, la situation est mal aisée : des ballons similaires, très peu efficaces en technologie d’espionnage, ont déjà survolé le sol américain par le passé sans faire autant d’esclandre. Il est possible que ce ballon ait été dévié de sa route par erreur. La Chine a d’ailleurs semblé relativement embarrassée par cette affaire et a émis des « regrets ».
La lenteur de la prise de décision de Biden pour détruire le ballon-espion est critiquée par les Républicains et a déclenché une crise politique à Washington. Les Démocrates tentent d’éviter une escalade de la dialectique avec le gouvernement de Xi Jinping. Le dirigeant chinois est lui-même en difficulté dans son pays à la suite des émeutes anti-confinement. Le survol du ballon pourrait être un acte malintentionné de la part de hauts dignitaires de l’armée chinoise pour affaiblir Xi Jinping.
Pourtant, au-delà de cet évènement qui a déjà des conséquences politiques aux États-Unis, il existe un certain consensus à Washington au sujet de la Chine, alors même que 690 Mds$ en échange de biens commerciaux entre les Etats-Unis et la Chine ont été atteint en 2022, un nouveau record, selon les statistiques publiées hier par le Département du commerce américain. Républicains et Démocrates s’accordent sur de nombreux sujets : faire pression sur la Chine pour qu’elle cesse ses importations de pétrole iranien ainsi que l’approvisionnement en équipement non-léthal des forces russes en Ukraine. Accord bipartisan également sur la nécessité d’armer Taiwan et de contrôler Tik-Tok. À la suite de l’affaire du ballon-espion, il y a fort à parier qu’une loi bipartisane obligeant Tik-Tok à vendre sa filiale américaine à des investisseurs américains soit votée prochainement.
Si les tensions s’exacerbent avec la Chine, on peut imaginer un rapprochement entre les États-Unis et l’Europe. L’administration Biden a publié le 12 octobre 2022 sa première Stratégie de Sécurité nationale. L’objectif pour les États-Unis est de « surpasser » économiquement (outcompete) la Chine et d’« entraver » (constrain) la Russie.
La stratégie détaille trois axes d’action pour les États-Unis : tout d’abord, renforcer la puissance américaine en investissant sur le plan domestique. Cela inclut des investissements mais aussi des primes à l’achat, notamment pour les voitures électriques mais exclusivement celles produites dans le pays. L’Europe crie au protectionnisme, Emmanuel Macron a abordé le sujet avec Joe Biden lors de la visite officielle d’Etat de décembre 2022. Il ne semble pas que la position américaine ait été bousculée. D’ailleurs Joe Biden a profité de son discours sur l’état de l’Union du 7 février 2023 pour promouvoir son Inflation Reduction Act, que l’Europe déteste, comme l’accomplissement de ses deux années de mandat.
Deuxième axe d’action, les États-Unis vont renforcer la coopération avec leurs alliés traditionnels dont les Européens, notamment militairement en Ukraine. Nous partageons des valeurs transatlantiques avec les États-Unis : la protection des droits de l’Homme et des travailleurs, la défense d’un pays souverain en cas d’agression, la lutte contre le changement climatique. Sur le plan de la défense, l’administration Biden est donc satisfaite de voir l’Europe se réarmer et « fortifier le pilier de la défense européenne au sein de l’OTAN ». Cela permettra aux Américains de renforcer leur présence militaire ailleurs qu’en Europe, comme par exemple au Japon et aux Philippines pour protéger Taiwan.
Enfin, troisième axe d’action, les États-Unis doivent moderniser leur outil militaire et de renseignement. A la suite de l’affaire du ballon, Washington pourrait lancer rapidement un programme de réarmement agressif pour augmenter leur propre stock de têtes nucléaires (actuellement 3 750 contre 6 000 pour la Russie et 290 pour la France). Au mieux, les États-Unis peuvent produire entre 50 et 80 têtes nucléaires par an. La modernisation de l’équipement militaire est aussi une priorité. L’enjeu est extrêmement stratégique si les États-Unis ne veulent pas se retrouver en position de faiblesse face à la Russie et à la Chine en 2050, qui seraient alors en position de force dans le cadre d’une nouvelle guerre froide.
L’objectif déclaré de Xi Jinping est de surpasser militairement les États-Unis dans les 30 prochaines années, soit environ en 2050. Dans un article de The Hill, Matthew R. Costlow, analyste à l’Institut National de Politiques Publiques, souligne l’augmentation plus rapide que prévu de l’armement nucléaire chinois. En 2020, le ministère américain de la Défense estimait que la Chine atteindrait un stock de 400 têtes nucléaires en 2030. Grave sous-estimation car c’est en 2021 que la Chine est arrivée à ce nombre, en seulement 1 an ! Mardi 7 février 2023, le Centre de Commandement militaire stratégique américain a annoncé que la Chine venait de surpasser les États-Unis en nombre de plateformes de lancement de missiles balistiques intercontinentaux.
Surpasser économiquement la Chine dans une compétition technologique ne suffira pas, entraver militairement la Russie ne suffira pas non plus : il faudra aussi que les États-Unis restent supérieurs en équipement militaire par rapport à la Chine. Les intentions de Pékin sont connues et tout à fait déterminées. Washington doit agir vite pour rester en position de force.
Par Laure Pallez, élue des Français de Floride et cofondatrice du think tank ‘La France et le monde en commun’ et Flore Kayl, autrice
1.L’IRA est un plan économique de 370 Mds$ visant à verdir et protéger davantage l’économie américaine.
(Crédits Photo : ALY SONG)