C’était le thème retenu par l’Académie diplomatique et consulaire1 lors du séminaire qu’elle a organisé à l’université de Nantes le 18 décembre 2024. La France et le monde en commun y avait été convié pour partager ses expériences et ses analyses déjà nombreuses sur cette question.

Partant de l’idée que les communautés françaises à l’étranger constituent une ressource et un relai utile pour la diplomatie française, il importait de s’interroger sur les relations qu’entretiennent les diplomates avec celles-ci.

Trois universitaires et chercheurs ont donc éclairé les réflexions en retraçant leurs travaux sur le service diplomatique et consulaire français et les ressortissants à l’étranger depuis le XIXème siècle d’une part, la relation actuelle entre l’administration consulaire et les Français de l’étranger d’autre part, ainsi que les enjeux de politique étrangère susceptibles de constituer un dénominateur commun fédérateur.

Selon notre point de vue, nous interrogeons la sensibilité des Français de l’étranger, définis au départ comme une communauté diverse, d’ailleurs plutôt comme des communautés, aux enjeux de politique étrangère de la France. Peuvent-ils être sensibles et sensibilisés ?

De nombreuses questions se posent : Pour quels objectifs et enjeux de politique étrangère serait-il pertinent de mobiliser les Français de l’étranger ? Comment s’appuyer davantage sur les réseaux, plus ou moins formalisés, des Français de l’étranger ? Quels moyens doivent être employés pour y parvenir ? Comment l’action consulaire, en phase de modernisation (dématérialisation), peut-elle être un élément essentiel pour structurer cette relation ? Questions qui furent donc traitées, sinon répondues, lors de ces échanges de grande qualité et qui en ont suscité d’autres encore…

Pour nous, la migration des Français vers d’autres pays passe par plusieurs temps : La dispersion, le grand éparpillement sur des territoires nouveaux… en quelque sorte sont souvent vécus de façon individuelle, ils précèdent les phases de regroupement au sein de ce qu’on a coutume de nommer « communauté », on pourrait dire aussi « famille »… Ainsi devient-on Français de l’étranger par l’émigration. Ce concept, cela a été succinctement rappelé mais non développé, met d’ailleurs souvent les Français de l’étranger mal à l’aise, car il est surtout utilisé pour désigner les mouvements de populations Sud-Nord, et la détresse économique et politique… sans oublier, de la part de beaucoup, un côté condescendant vis-à-vis des flux migratoires en général et de l’immigration en particulier ! Or, la plupart des Français établis hors de France ont bien migré un jour, on peut donc considérer qu’ils sont migrants, et qu’ils sont éligibles à des politiques ad hoc dans leur pays d’accueil.

Mais on est aussi Français de l’étranger par la naissance hors de France ou l’acquisition de nationalité, et là on doit considérer la binationalité. Les évolutions historiques, sociologiques sont marquées par l’éloignement géographique, la perte ou l’absence de liens avec la France, l’éloignement politique aussi à en juger de la méconnaissance ponctuelle des sujets politiques français, du faible taux d’inscription aux registres consulaires (non obligatoire), et de la faible participation électorale tant décriée aux élections nationales (présidentielles et législatives hors de France, des élections consulaires).

Des dispositifs créateurs de lien pourtant existent : ambassades et consulats, réseaux culturel et scolaire français hors de France, entreprises, associations, représentants élus (conseillers élus, parlementaires), forces de défense, cultes,… Mais soyons conscients que ces liens ne touchent ou ne concernent pas tout le monde, et qu’a contrario des microcosmes français hors de France peuvent d’ailleurs éloigner du pays d’accueil…

Pour revenir aux enjeux, le rôle de la France dans le monde, pour le maintien de la paix, la coopération et le développement économique et durable, les enjeux d’influence culturelle, telle que la francophonie, qui font sa politique étrangère, sont définis et exercé par l’État, sa doctrine, ses institutions régaliennes. Rappelons le monopole de la représentation diplomatique !

Dès lors, peut-on parler de communautés susceptibles d’être sensibles à des enjeux de politique étrangère ? Les Français de l’étranger sont d’abord sensibles aux politiques publiques françaises qui s’adressent à eux, portées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères dont sa Direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire et de quelques opérateurs, par exemple les aides sociales consulaires et les bourses scolaires, le service public consulaire, l’organisation des élections,… Nous avons vu par quelques exemples qu’il est possible que certains enjeux dépassent largement les capacités mobilisatrices supposées de nos compatriotes établis hors de France. Et vu aussi que l’expertise existe, celle de certains cercles économiques et politiques, de Français binationaux aussi, auxquels la France et le monde en commun a consacré une étude2 en 2023.

C’est sans doute par le prisme de l’action et de la protection consulaires de la France mise en œuvre par la Direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire que l’on distingue le plus la mobilisation des Français de l’étranger, par exemple dans les associations françaises ou « franco-nationales », mais quid des enjeux d’influence et de rayonnement ? Bien sûr beaucoup de sujets et de dispositifs sont liés et interconnectés, cependant la sphère culturelle et éducative laisse à la France, à des Français de l’étranger et à des Francophiles engagés une large place pour se saisir du soft power, et pour s’y exercer.

En matière de mobilisation de nos communautés hors de France, des marges de manœuvre demeurent pour éviter les effets silos, privilégier des espaces de dialogue, sans se perdre non plus dans des polysynodies. Des tropismes locaux peuvent inspirer.

Et cet exercice du séminaire de Nantes réunissant enseignants-chercheurs, diplomates en formation, diplomates-formateurs, étudiants en histoire, en droit et en relations internationales fut donc une première particulièrement inspirante.

Philippe Loiseau


  1. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049739232 ↩︎
  2. https://lafranceetlemonde.org/la-binationalite-en-politique-un-engagement-a-double-tranchant/ ↩︎

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