Depuis plus de 3 ans, Mette Frederiksen, Première ministre danoise mène le pays sinon d’une main de fer mais d’une main solide et règne sur son équipe ministérielle dans quelque domaine qu’il soit. Elle est à la tête d’un gouvernement purement social-démocrate et doit s’appuyer sur des partis de gauche ou de droite pour faire voter les lois. Elle est la deuxième femme Première ministre du Danemark, la première ayant assuré ce poste est Helle Thorning Schmidt de 2011 à 2015, elle aussi Sociale-démocrate.
Au Danemark, la période de législature est de 4 ans maximum mais le Premier ministre peut mettre fin à son mandat avant, surtout si l’opposition dépose une motion de censure. Chose dont les Sociaux-libéraux sur lesquels entre autres Mette Frederiksen s’appuie l’ont menacée pendant plusieurs mois. En effet, les sociaux-libéraux, du parti « Radikal Venstre », qui soutenaient le gouvernement uni-partiste et minoritaire ont exigé la convocation d’élections anticipées annoncées donc par la Première ministre à la tribune du Folketing, le Parlement danois, début octobre.
Le 1er novembre, les Danois sont appelés aux urnes pour élire leurs 179 députés, élus au suffrage universel direct pour 4 ans, théoriquement. Les électeurs peuvent voter pour un parti ou pour un candidat de leur choix puisque le vote préférentiel est possible. Cette fois, 14 partis sont en lice dont 8 dirigés par des femmes. Des députés du Groenland et des îles Féroé participent également à l’élaboration des lois danoises puisque 4 sièges leur sont réservés.
Le parti soutenu par le plus grand nombre de députés est invité à former un gouvernement que la Reine Margrethe II nomme ensuite officiellement depuis son château d’Amalienborg, sa résidence officielle. Le Danemark étant une monarchie constitutionnelle, c’est aussi à la reine que le Premier ministre remet officiellement sa démission après les quatre années de législature.
Mette Frederiksen, appelée communément « Maman Mette », prêche pour un large gouvernement de centre, une grande coalition alors que le Danemark est traditionnellement dirigé par un des blocs politiques, y compris par des gouvernements minoritaires. Cette annonce peut plaire aux électeurs car elle est porteuse de sécurité extérieure et intérieure économiquement et socialement parlant. Ces solutions qui s’annonçaient plutôt pragmatiques et rassurantes peuvent être dangereuses car la montée des extrêmes à gauche comme à droite du paysage politique se durcirait.
Selon les sondages, une majorité du bloc bourgeois, de centre-droit, semblerait probable alors que les sociaux-démocrates sont donnés stables, voire en légère progression, entre 25 et 27%.
Ils feraient la course en tête. Dans le bloc de gauche, les Sociaux-démocrates devront s’assurer le soutien des partis écologistes et socialistes du « Socialistisk Folkeparti », parti écologique de gauche fondé en 1959 par des membres en rupture avec le parti communiste danois.
Mais il faudra aussi compter sur un joker! En effet, l’ancien Premier ministre du parti libéral, Lars Løkke Rasmussen (premier ministre de 2009 à 2011 et de 2015 à 2019), « démissionné » de son propre parti, refait surface en ayant créé un nouveau parti « Moderaterne », les Modérés, et compte bien jouer un rôle d’arbitre car les sondages le créditent de 10%. Il devra mardi soir se prononcer pour dire si son parti soutiendra un gouvernement de droite ou la Sociale-démocrate, Mette Frederiksen qui alors composera son équipe gouvernementale en laissant à Lars Løkke quelques postes-clé dans le nouveau gouvernement. En tout cas, la Première ministre danoise affirme qu’elle est prête à faire des compromis si un gouvernement alliant des forces de gauche et de droite est formé dans les semaines à venir. L’ouverture d’esprit et la tradition de faire des compromis sont fortement ancrées dans l’esprit danois.
Durant la dernière législature, Mette Frederiksen a dû faire face à bien des crises. Celle de la pandémie, de la crise migratoire, de l’inflation et maintenant, de la crise de l’énergie puisque le gaz russe ne passe plus dans les pipelines.
Une crise corollaire à la pandémie, et tout à fait inattendue, a enflammé le pays en 2020 : en effet, tous les éleveurs de visons – un secteur porteur au plan économique – ont dû, sur décision gouvernementale et par principe de précaution, abattre tout leur cheptel pour éviter la contagion de la covid animaux-humains. Cette décision s’est très mal passée car le gouvernement a agi dans la précipitation et surtout sans base légale.
Au niveau économique, l’inflation a augmenté, elle est aujourd’hui de 11% et est due principalement à l’augmentation drastique des prix de l’électricité. En outre, les ménages voient le prix des denrées alimentaires grimper, par exemple le prix du beurre a doublé en un an, les prix des oeufs a cru de 25%. On reproche à la Première ministre sa politique migratoire, le contrôle aux frontières, les difficultés pour obtenir la nationalité danoise, des centres de rétention complets. Cela reste un sujet décisif au Danemark. Mais Mette Frederiksen compte poursuivre sa ligne dure en matière de politique d’asile et d’intégration, ligne que le parti social-démocrate a adoptée et suivie depuis longtemps, à la différence des partis frères en Europe. Et qui a permis cependant à ce parti d’acquérir et de conserver une crédibilité politique face aux populistes de droite, comme les « Danmarksdemokraterne », Démocrates danois, et les ultralibéraux de « l’Alliance libérale ».
Elle doit aussi se battre contre la crise de l’emploi dans les hôpitaux qui souffrent terriblement du manque d’infirmières assujetties à des conditions de travail dégradées, contre la crise des vocations dans l’éducation nationale et parmi les gardiens de prison. Les salaires des 280 000 fonctionnaires ne suivent pas et reste la question de savoir lesquels parmi eux profiteront des 3 milliards de couronnes danoises (environ 400 M€) réservés pour augmenter leurs traitements pendant la prochaine législature. Les infirmières ? Les pédagogues ? Les professeurs des écoles? Les gardiens de prison? Les aide-soignantes ? Ses promesses électorales de 2019 n’ont pas toutes vu le jour mais des avancées très remarquables au niveau social sont à souligner.
Je donnerai un exemple : Une réforme des retraites pour les travailleurs ayant commencé de travailler tôt et dont les métiers sont épuisants. Cette réforme porte le nom de la « Arne pension ».
Qui est Arne ?
C’est le nom d’un ouvrier brasseur, usé par de longues années de travail éreintant et qui s’était engagé dans la lutte pour le droit à une retraite avant l’âge fatidique. Au Danemark, l’âge actuel de la retraite est fixé à 66,5 ans.
Qu’est-ce que la réforme portant le nom du brasseur ?
Le texte de loi dit que si vous avez cotisé pendant 44 ans, vous avez la possibilité de partir 1 an, deux ou même 3 ans avant l’âge légal de la retraite. À ce jour, 40 000 ouvriers profitent de cette réforme dont le texte de loi a été voté non seulement par les sociaux-démocrates, mais aussi par le « Dansk folkeparti » Parti populaire danois, aux idées franchement à droite et également par le parti socialiste et le parti « Enhedslisten » (Liste de l’Union) se trouvant à l’extrême gauche de l’hémicycle et prônant la création d’une démocratie socialiste à la danoise.
Le moto, assurément décidé, de Mette Frederiksen est le suivant : « Il n’y a aucune crise que je ne puis résoudre ». L’envie de maintenir et de consolider encore l’État providence au Danemark est, pour les Sociaux-démocrates, la priorité majeure. Nous verrons mercredi 2 novembre si les Danois ont entendu son message et lui conservent leur confiance.
Odile Jensen, Copenhague, 29 octobre 2022
Store merci et tusind Tak til Jens Hage for sin illustration
Berlingske Tidende du 27/10 http://hage.dk/