L’Académie diplomatique et consulaire du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) a organisé la première édition de la Fabrique de la Diplomatie les 5 et 6 septembre derniers en partenariat avec la Sorbonne nouvelle. Le samedi 6, notre think tank a eu l’honneur d’animer une table ronde « Servir, protéger, entretenir les liens citoyens : quelles spécificités de l’approche française dans le domaine consulaire ?» et d’y recevoir Madame Pauline Carmona, directrice de l’Administration consulaire et des Français de l’étranger (DFAE). Ce fut l’occasion d’évoquer les origines de l’action consulaire, les textes fondateurs de la protection consulaire mais aussi ses limites. L’action consulaire a ensuite été abordée sous l’angle des grands chantiers de modernisation qui la réforment, mais aussi sur sa relation avec les citoyens, puisqu’elle fait vivre quotidiennement le lien entre la France et ses ressortissants à l’étranger dont environ 1,8 million sont inscrits au registre consulaire mondial.

Rappel historique

Les premiers réseaux consulaires (« consulats ») ont été mis en place en Europe aux XVIème et XVIIèmesiècles, à une époque où les rois et les princes dépêchaient des Consuls à l’étranger pour protéger les intérêts des marchands et des commerçants. Ainsi, en France, le premier texte consulaire date du XVIIème siècle, il s’agit de l’Ordonnance de Colbert de 1681, également appelée Code de la marine de 1681. Rédigée le 31 juillet 1681 sous le règne de Louis XIV, ce texte est connu pour avoir codifié les usages de la marine marchande, mais il est également celui qui a institué la légalisation par les consuls français à l’étranger des actes établis par les autorités étrangères « Tous les actes expédiés dans les pays étrangers où il y aura des consuls ne feront aucune foi, s’ils ne sont pas par eux légalisés ».

L’irruption de nouveaux États dans la seconde moitié du XXème siècle, qui s’est accompagnée d’une forte mobilité humaine (à travers) sur tous les continents, a rendu nécessaire la codification des grands principes consulaires. Le texte de référence est laConvention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, qui a aujourd’hui été ratifiée par 182 États[i] . L’article 5 recense 13 « fonctions consulaires », dont 5 concernent les aides/services apportés aux citoyens :

  • La protection de ses ressortissants dans l’État de résidence (point a) ;
  • La délivrance des passeports et des documents de voyage (point d) ;
  • Le secours et l’assistance à ses ressortissants (point e) ;
  • L’action en matière d’état civil et nationalité (point f) ;
  • La sauvegarde des intérêts de ses ressortissants personnes physiques et morales » (point g).  

Entre États européens, une autre convention a été signée par les 46 États-membres du Conseil de l’Europe : la Convention européenne sur les fonctions consulaires du 11 décembre 1967[ii]

La volonté des rédacteurs de la convention de 1963 était de laisser aux États des marges de manœuvre importantes pour leur permettre d’offrir davantage de services à leurs ressortissants.  Ainsi, le dernier point (m) de l’article 5 dispose que « les Etats peuvent exercer toutes autres fonctions confiées à un poste consulaire par l’Etat d’envoi que n’interdisent pas les lois et règlements de l’Etat de résidence ou auxquelles l’Etat de résidence ne s’oppose pas ou qui sont mentionnées dans les accords internationaux en vigueur entre l’Etat d’envoi et l’Etat de résidence ».

Dans ce contexte, de nombreux pays européens ont opté pour une approche « anglo-saxonne » (notamment le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les pays nordiques) en privilégiant une vision restrictive/minimaliste de la Convention de Vienne, en faisant davantage appel à la responsabilité individuelle : les consulats se concentrent sur le cœur des missions consulaires (protection consulaire, délivrance de passeports et visas).

À l’inverse, la France a souhaité aller au-delà du cadre minimaliste proposé par la Convention de Vienne pour pouvoir soutenir davantage ses ressortissants à l’étranger. Ce constat a été relevé dans les commentaires de la Cour des comptes dans son rapport sur « les services consulaires rendus aux Français de l’étranger du 13 juin 2024 : «Ces services sont mis en œuvre dans le cadre de la Convention internationale de Vienne du 24 avril 1963, interprétée par la France de manière plus large que par la plupart des autres pays. » (…) « La France a développé ses services consulaires sur la base de la Convention internationale de Vienne du 24 avril 1963, selon une interprétation maximaliste de ses stipulations »[iii]. La France est ainsi, par exemple, le seul pays à octroyer des bourses scolaires ou organiser des Journées défense et citoyenneté. En Europe, l’Espagne et l’Italie sont les deux pays qui ont adopté une approche similaire à la nôtre, mais qui demeure moins extensive.

Les limites à l’exercice de la protection consulaire

Elles peuvent tout d’abord être liées à la double nationalité. En effet, en l’absence de textes juridiques contraignants à portée universelle/régionale, les règles applicables aux double nationaux résultent de la coutume internationale et des pratiques entre États. Deux situations méritent d’être distinguées :

  • L’accès aux services consulaires (état-civil ; titres d’identité et de voyage ; assistance en cas de difficulté ; aides sociales…) : La France propose ses services consulaires à tous ses nationaux, même s’ils possèdent aussi la nationalité du pays où se situe le consulat (ce n’est pas le cas pour tous les pays, une minorité – comme par exemple l’Iran ou le Mexique – refusent l’accès à leurs services consulaires à leurs nationaux s’ils possèdent aussi la nationalité du pays où se situe le consulat).
  • La protection consulaire(protection consulaire suite à des arrestations/détentions) : Le principe est qu’un binational est considéré comme un ressortissant de l’État dans lequel il se trouve. Cela n’interdit pas de demander à l’autre État dont il possède la nationalité d’exercer la protection consulaire, mais celle-ci ne sera pas accordée de droit. Certains pays la refusent systématiquement.

D’autres limites existent, liées à la souveraineté des États d’accueil qui peuvent décider de restreindre l’exercice de compétences consulaires sur leurs territoires. Ainsi, certains pays ne permettent pas l’organisation d’élections étrangères sur leur territoire. Dans ces pays, il ne nous est pas possible d’ouvrir des bureaux de vote hors des ambassades et consulats, qui sont, seuls, des territoires français au sens des Conventions de Vienne.

La solidarité européenne : L’article 23 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE – traité de Lisbonne) du 13 juillet 2007 stipule que « tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État »[iv]. En application de ce principe de solidarité, c’est la directive européenne 637/2015 du 20 avril 2015 qui détaille les mesures mis en place à cet effet entre États européens, pour permettre aux citoyens des États membres non représentés dans un pays tiers de bénéficier de l’assistance des autres consulats européens. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en son Article 46 sur la Protection diplomatique et consulaire, le rappelle.[v]

Le service public consulaire

L’administration consulaire vise à proposer un service public de qualité à nos concitoyens de l’étranger, comme l’a indiqué le ministre des Affaires étrangères dans son discours d’ouverture de la Fabrique de la diplomatie : « la première mission du Quai d’Orsay, c’est le service public pour nos compatriotes établis à l’étranger, nous le faisons avec une grande efficacité puisque toutes les enquêtes d’opinion démontrent qu’ils sont à plus de 90% satisfaits de la manière dont nous apportons le service public jusqu’à eux ».

Servir les Français : l’administration consulaire souhaite offrir aux Français de l’étranger des services toujours plus simples, plus rapides et plus efficaces. Elle le fait en développant plusieurs grands chantiers de modernisation et en offrant aux Français de l’étranger des services qui n’existent pas en France :

  • Le service France Consulaire (SFC) : à ce jour, le SFC couvre 146 pays, représentant 76,7% des Français inscrits au Registre des Français établis hors de France. La couverture mondiale sera réalisée en décembre 2025.
  • Le Registre d’état civil électronique (RECE) qui permet à ce stade aux usagers de demander et recevoir des extraits et/ou des copies d’actes d’état civil entièrement dématérialisés et signés électroniquement à partir du site service-public.fr. Aucune autre mairie en France n’offre cette possibilité. La dématérialisation complète des démarches d’état civil est prévue en 2026.
  • L’expérimentation sur le renouvellement des passeports à distance : elle vise à permettre aux usagers de renouveler leur passeport sans déplacement auprès de services consulaires. L’expérimentation sera prochainement prolongée jusqu’en 2027 et étendue (en plus du Canada et du Portugal) à l’Australie et l’Espagne.
  • Le vote par internet : nos compatriotes de l’étranger sont aujourd’hui les seuls à pouvoir voter par internet pour deux élections : celle des députés représentant les Français établis hors de France et celle des conseillers des Français de l’étranger. Il est aujourd’hui utilisé par 75% des électeurs votants.

Protéger les Français : la France propose aux Français de l’étranger un système de soutien social inédit au monde. Ainsi, en 2025, les aides sociales ont été versées à 4 205 bénéficiaires. En 2024, des bourses scolaires ont été octroyées à quelque 22 000 élèves, avec possibilité d’un soutien supplémentaire pour les familles d’enfants porteurs d’un handicap. Les plus fragiles de nos compatriotes peuvent bénéficier d’allocations versées sous conditions de ressources et selon des critères d’éligibilité liés notamment à l’âge ou à la reconnaissance d’un handicap (allocations adultes et enfants handicapés ; allocation de solidarité pour les séniors ; soutien pour l’enfance en détresse).

Par ailleurs, l’État prend chaque année en charge le rapatriement de ressortissants français en difficulté à l’étranger (en 2024, 136 rapatriements réalisés).

L’action sociale à l’étranger est distincte de la protection sociale (accordée sous condition de résidence en France, sans critère de nationalité) en ce sens qu’elle se fait sur la base du budget de MEAE et non d’un guichet alimenté par les cotisations. Elle est accordée selon des critères proches de ceux qui fondent la protection sociale en France, mais les aides allouées ne le sont pas « de droit » et doivent respecter l’enveloppe allouée au budget. En 2025, l’ensemble des aides versées sur le budget du MEAE a représenté une enveloppe de plus de 127 M€ (bourses scolaires, aides sociales directes et indirectes).

Le lien citoyen

La Francea mis en placeà l’étrangerun système unique de représentation, qui se décline ainsi :

  • La possibilité de voter à l’étranger pour tous les scrutins nationaux : élections présidentielles, européennes, législatives, consulaires et les référendums.
  • Des élus au parlement : 11 députés et 12 Sénateurs représentent les Français de l’étranger.
  • Des élus locaux : 442 conseillers et conseillères des Français de l’étranger.
  • Des instances représentatives spécifiques : les conseils consulaires qui sont réunis localement, et l’Assemblée des Français de l’Étranger qui se réunit deux semaines par an. Le travail au sein des conseils consulaires est particulièrement utile car il permet aux consulats de bénéficier de l’expertise des élus et de leur excellente connaissance des Français de la circonscription.
  • Le maintien du lien avec la France, avec le réseau des établissements scolaires français à l’étranger et via un dispositif de soutien aux projets associatifs en faveur de la communauté française (STAFE).

Quelques chiffres

L’action consulaire est avant tout une action de proximité : elle s’appuie sur un réseau universel (208 consulats dans 140 pays), au plus près des Français, avec comme priorités :

  • L’accueil du public : 1 153 227 rendez-vous dans les services consulaires en 2024 (hors RDV visas).
  • Un accès par téléphone garanti (taux de décroché de 99%), via le service France consulaire, qui couvrira à la fin de l’année tous les pays du monde.
  • Les tournées consulaires : 874 tournées en 2024, pour recueillir notamment les demandes de cartes d’identité et de passeport.
  • Le réseau des Consuls honoraires : 496 consuls honoraires, relais bénévoles des ambassades dans les pays.

Au final, l’enjeu est bien de trouver le meilleur équilibre entre ce qui peut être fait depuis la France grâce aux outils numériques, et les fonctions qui ne peuvent être assurées que par nos équipes de terrain. Comme l’a indiqué le Ministre délégué aux Français de l’étranger, « la modernisation n’est pas la déshumanisation ». Résumé de l’intervention de Mme Carmona, 6 septembre 2025


[i] Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963

https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/conventions/9_2_1963.pdf

[ii] Convention européenne sur les fonctions consulaires du 11 décembre 1967

https://rm.coe.int/168007234c

[iii] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/72060

[iv] Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne

https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12012E/TXT:fr:PDF

et Directive (UE) 2015/637 du Conseil du 20 avril 2015 établissant les mesures de coordination et de coopération nécessaires pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l’Union non représentés dans des pays tiers

https://eur-lex.europa.eu/eli/dir/2015/637/oj?locale=fr

[v] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/46-protection-diplomatique-et-consulaire

Informations complémentaires sur le site service-public.fr

https://www.service-public.fr

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