Après l’annulation des élections municipales berlinoises de 2021, leur répétition en février dernier a marqué le recul du SPD. Une nouvelle coalition dirigée par l’union chrétienne démocrate avec les sociaux-démocrates en partenaires juniors est annoncée, pour les trois années à venir…

Berlin est une ville-État. Elle est à la fois un lieu de pouvoir local, municipal et une des 16 régions fédérées d’Allemagne. Métropole impériale de la vieille Europe tant au plan politique, culturel, qu’économique, un temps pervertie comme capitale du Reich, défigurée par les bombardements du second conflit mondial, exsangue et divisée par le statut d’occupation de la guerre froide, réunifiée avec douleur en 1990, elle a perdu ses richesses, son influence, et une bonne part de sa réputation. Tout en reprenant son rôle de capitale politique de la nouvelle Allemagne, Berlin est devenue une ville certes contemporaine, attirante, attachante et verte, mais elle peine à retrouver sa place en Allemagne. Elle est victime du Berlin bashing. Son administration est en crise, elle est endettée, sa nouvelle prospérité se fonde uniquement sur le secteur tertiaire, l’immobilier, le tourisme, la new-économie… Berlin est, comme l’a proclamé sous les vivats en 2003 son populaire maire social-démocrate Klaus Wowereit, « pauvre mais sexy », et ainsi vit elle !

Cette ville, touchée par les épreuves successives qu’elle a traversées depuis 90 ans, incarne une forme de liberté que les conservateurs qualifient de désordre. Les écoles sont en mauvais état, elles manquent cruellement d’enseignants, des quartiers sont fragilisés par la paupérisa-tion, les loyers explosent, la bulle spéculative immobilière s’impose, les réfugiés affluent. Des mouvements de gauche dits alternatifs, autonomes et contestataires se plaisent à jouer l’opposition extra-parlementaire quand, dans les rues, surtout le 1er mai mais aussi le 31 décembre, les pavés volent au-dessus des forces de l’ordre jusqu’à créer débat entre les tenants des portefeuilles de la sécurité et de la justice de la même équipe municipale…

Le SPD, après quelques mauvaises années liées à la chute du mur et à la présence d’un parti néo-communiste fort à Berlin-Est, est redevenu le premier parti localement et partenaire sénior de toutes les coalitions politiques régionales depuis 2001. Mené depuis 2020 par Franciska Giffey, 44 ans, originaire de l’Est, ancienne maire d’arrondissement et ancienne ministre fédérale, le parti est arrivé à nouveau en tête aux municipales de septembre 2021,  avec 21,4% des suffrages, suivis par les Verts à 18,9% et a donc formé une coalition de gauche, avec aussi les néo-communistes (14%), tandis que l’union chrétienne démocrate culminait à 18%…

Mais de graves irrégularités lors de ces élections, irrégularités presque ubuesques (couplage avec les élections fédérales et un referendum local, manque de bulletins de vote, erreurs techniques, impossibilité d’acheminement du matériel de vote du fait du marathon organisé le même jour, électeurs mineurs autorisés à voter, impréparation des centres administratifs de vote et des assesseurs,…) ont fait de l’administration sociale-démocrate, qui gérait le ressort de l’intérieur, la risée de tout le pays. Les tribunaux ont fini par annuler toute l’élection, un fait sans précédent, tant au niveau des arrondissements que pour le parlement régional dont la majorité forme le gouvernement régional (Sénat).

Après quelque 13 mois de coalition rouge-verte-rouge qui a subi plusieurs crises, les élections ont donc été répétées en février, dans le même dispositif, avec les mêmes candidats, comme l’ont ordonné les juges. Et le SPD a perdu son avance en reculant de 3%, à 18,39%, faisant jeu égal avec les verts. 53 voix ont séparé les deux partis, le SPD a frôlé l’humiliation d’une 3e place, alors que l’union chrétienne démocrate a largement progressé sur le mécontentement et les violences de la Saint-Sylvestre à 28% (+10%). Le SPD a perdu toutes ses circonscriptions et n’a plus de majorité même relative dans aucun des douze arrondissements. Des maires d’arrondissements, au statut de « fonctionnaires politiques », de par la loi élus pour toute la mandature, se retrouvent mis en minorité dans leur conseil d’arrondissement…

Dès lors, la bourgmestre sociale-démocrate Giffey a donné le sentiment de s’accrocher à son poste, ce qui est assez naturel après 13 mois, mais elle a finalement convaincu son parti d’entamer des discussions, puis des négociations de coalition, avec les conservateurs sous le regard amer des alliés verts et néo-communistes, également affaiblis par ce dernier vote. Franciska Giffey avait déjà signalisé ses préférences en 2021 pour une coalition avec les conservateurs. Un ballon d’essai !

Au terme de huit semaines d’échanges et de négociations, les militants SPD viennent d’approuver la formation d’un gouvernement régional CDU-SPD, dans lequel le SPD perd donc le leadership en devenant partenaire junior, un choix risqué pour le parti. Le vote militant est acquis avec seulement 54 % des suffrages et une participation de 65 % (11 734 votants), un vote beaucoup plus serré que des votes militants comparables en 2011 et 2016. Si la direction estime que « comme toujours, le SPD berlinois est toujours fort lorsqu’il se rassemble et met en œuvre les nombreuses idées de ses membres pour le bien de Berlin » la forte opposition interne, plus à gauche, pourrait lui mener la vie dure.

Le futur maire, Kai Wegner (en photo avec F.Giffey), une personnalité plutôt réservée, n’a jusqu’à présent pas vraiment fendu l’armure. Que l’appareil du parti social-démocrate lui laisse aujourd’hui la priorité pour ce poste prestigieux alors qu’une coalition des gauches était encore mathématiquement possible interpelle beaucoup de militants. Les Jeunes socialistes de Berlin, qui sont, comme plusieurs sections locales, globalement très opposés à cette orientation, ont fait savoir « qu’ils acceptaient ce vote et accompagneraient de manière critique et solidaire le gouvernement qui sera formé. »

La réforme administrative et la protection du climat, urgentes, seront les premiers chantiers de la nouvelle coalition. Dans le passé, CDU et SPD avaient déjà régulièrement critiqué la politique des écologistes en matière de climat et de transports, souvent mal acceptée par la population. Franciska Giffey a déclaré lors de la conférence de presse hier dimanche. « Je suis très soulagée, pour le SPD, mais aussi pour notre ville. Nous avons maintenant la chance de passer à l’action concrète ». Elle a qualifié cette décision de « décision d’orientation qui montre la voie à suivre bien au-delà des prochaines années ».

Le contrat de coalition avec la CDU sera signé mercredi. Jeudi aura lieu l’élection du nouveau « maire-gouverneur » de Berlin et la prestation de serment du nouveau « Sénat » à la Chambre des députés régionale. Parmi les cinq futurs ministres régionaux (appelés sénateurs) proposés par le parti, on compte, outre l’actuelle sénatrice à l’intérieur et un secrétaire d’État, trois membres du Bureau exécutif du SPD de Berlin, trois femmes, dont la maire sortante. Une illustration du fait majoritaire au niveau régional ?

Philippe Loiseau 24 avril 2023

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