Ce texte est une sorte de plaidoyer pour les peuples océaniens du Pacifique Sud, de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie Française et de Wallis et Futuna. En effet, Jérôme Royer fait le constat suivant : la multiplication des actions, des acteurs locaux et des influences étrangères, la confrontation des intérêts des uns et des autres, l’isolement, les désirs d’indépendance…ne permettent pas, dans l’organisation actuelle, la mise en place d’une réflexion commune autour de projets d’avenir. Dans ce contexte, quelles sont les perspectives pour ces territoires ? L’auteur propose la mise en place d’un Conseil Permanent « Pacifique » et du Plan Pacifique, qu’il détaille à continuation.
La proposition consiste en la promotion d’une implication différente de la France, à travers la mise en place d’un Conseil permanent (et d’un Plan Pacifique), constitué de personnalités issues des populations locale, coordonné et animé par une représentation française, reprenant les spécificités de chacun de ces territoires autour de leurs coutumes et de leurs valeurs, mais aussi des défis naturels, économiques et humains auxquels ils font face, dans le but de favoriser le développement de projets communs. Le but est la création d’un organisme discret et efficace qui gagnerait peu à peu en influence avec des avancées significatives dans quelques domaines en particulier comme l’environnement, la biodiversité et la protection des océans. Au-delà des besoins financiers, des qualités humaines, du foisonnement des idées et de l’anticipation, il s’agira de partager un avenir commun.
L’ensemble de ces territoires regroupe une population locale d’approximativement 600 000 personnes, soit 0,8% de la population française. La surface maritime de 6,5M de km2 représente 60% de la surface maritime de la France et les milliers d’îles constituent l’une des plus importantes sources de biodiversité de la France. Ces territoires représentent une zone stratégique majeure pour l’ensemble des pays du Pacifique et des enjeux économiques importants pour la France, au 21ème siècle, en particulier :
- Les réserves halieutiques et les biodiversités sous-marines.
- Les réserves de nickel en Nouvelle-Calédonie vendues majoritairement en Chine, et les réserves de métaux sous-marines, y compris cobalt et terres rares.
- La production d’énergie décarbonée pilotable (énergie thermique des mers -ETM- dont le potentiel mondial a été estimé à 88000TWh/an soit 50% de la consommation mondiale d’énergie sans affecter les océans) et son stockage et transport sous forme d’hydrogène. La surface maritime du Pacifique Sud français présente le gradient de température optimal pour l’ETM, qui est l’énergie nucléaire de demain.
- Le tourisme éco-responsable (respectueux des coutumes et de l’environnement).
Ainsi, cette zone représente pour la France et l’Europe, les secteurs économiques les plus dynamiques du 21ème siècle : la bio-tech, la sea-tech (la connaissance, l’exploration, la protection sous-marine, l’exploitation raisonnée) et la transition énergétique. Une part importante de la croissance du PIB de la France doit pouvoir être générée depuis cette zone.
Malgré les efforts déployés pour soutenir l’économie locale avec des salaires et des prix subventionnés, les investissements soutenus par l’Agence Française du Développement (« AFD »), les avantages fiscaux pour l’investissement et la réduction d’impôts pour les résidents, entre autres, la population locale contribue proportionnellement en deçà de la moyenne au PIB Français, ce qui génère une destruction des valeurs à moyen terme et une démotivation de la jeunesse à long terme, avec aujourd’hui une sorte de cercle vicieux d’assistanat.
Par ailleurs, depuis plus d’une décennie, les « voisins » ont essayé de saisir des opportunités de construction d’infrastructures de transport et militaires tels que des ports en eau profonde visés par la Chine (pour sécuriser sa route vers l’Antarctique) ou par l’Australie. Ils ont aussi installé à très faible coût un ensemble de dispositifs (instituts Confucius, médias anglophones, investissements étrangers, visites politiques, jumelages de villes, etc..) qui constituent une pression de plus en plus forte qui tend à distendre les liens réciproques entre le Pacifique Sud et la France que l’histoire, la culture et les enjeux économiques et militaires ne parviennent pas à arrêter.
Politiquement, la zone souffre d’une absence de vision globale depuis la non-reconduction du secrétariat d’État pour le Pacifique Sud crée lors de la première cohabitation de la Vème République en 1986. La vision indopacifique géostratégique décrite depuis 2018 a été un premier pas pour palier à cette absence, mais (et surtout depuis le faux bond australien auprès de Naval Group)[1] il faut la renforcer économiquement avec le soutien indéfectible de la France et de ses partenaires européens[2].
Il est urgent de mettre en place un vecteur pérenne très fort permettant de démultiplier ces liens entre la France et ces peuples et pays océaniens d’une part et de renforcer les liens entre ces territoires d’autre part, autour de projets communs qui pourraient exprimer, affirmer et développer les systèmes communautaires océaniens et y faire vivre nos valeurs avec les cultures, les coutumes et les défis existentiels de ces territoires. La communication digitale rapprochant les populations, il semble possible de démarrer des projets conjoints entre la France et ces territoires afin d’y intégrer et de dynamiser les jeunes générations actuelles.
Les dossiers prioritaires qui s’imposer à tous concernent l’environnement et la protection des océans et de la biodiversité. Dans le cadre du plan France Relance actuel, il est donc urgent de flécher un volume de financements conséquents vers cette zone : à l’instar du Plan Hydrogène, un Plan Pacifique de 7Mds d’euros doit être engagé autour des enjeux décrits antérieurement. Sous la houlette de l’équipe de France Relance, la Caisse des dépôts via la Banque Publique d’Investissement, est probablement mieux adaptée que l’AFD pour identifier, calibrer, déployer et suivre ces investissements, et appuyer les initiatives privées menées conjointement par des acteurs en métropole et ceux basés dans les territoires.
Les instances européennes qui travaillent avec France Relance devraient être associées dès que possible à ces initiatives, à la fois politiquement et financièrement en particulier pour la construction d’infrastructures majeures (transport aérien/maritime en particulier) et leur protection/défense. Le Plan Pacifique a vocation à être élargi au niveau de l’Europe et à impliquer économiquement tous nos partenaires européens dans les territoires du Pacifique, afin de consolider un ancrage européen et des débouchés plus larges.
Ainsi le Conseil Permanent composé de 24 personnalités expertes, serait financé par le programme France Relance[3], et comporterait des groupes thématiques de travail, tel que les enjeux économiques, la protection de l’environnement, l’enjeu sécuritaire, l’enjeu santé et éducation ; Chaque groupe regrouperait six personnes, dont une par territoire et trois personnes basées en France/Europe (un R&D, un industriel, un financier).
Le Conseil Permanent pourra compléter les groupes de travail, avec des personnalités locales ou basées en Europe reconnues pour leurs compétences et leur intégrité, y compris des membres de gouvernements locaux ou nationaux et pourra faire appel à des conseils experts si besoin afin de préparer/valider les dossiers pouvant donner lieu à des décisions de financement.
Il convient de pérenniser les effets du Plan Pacifique, en incitant les hommes et femmes, ingénieurs et diplômés à fort potentiel à participer à la mise en place de ce Plan. Par exemple, afin d’inciter des jeunes étudiants de métropole ou des territoires à démarrer leur carrière dans le Pacifique, les bourses proposées (actuelles ou futures) seraient octroyées en échange d’un engagement de travail basé dans les territoires pendant une durée équivalente au nombre d’années financés par la bourse. À terme, on envisagerait l‘installation d’animateurs-médiateurs compétents, sorte de corps d’élite issu de ces territoires. Afin d’expliquer au grand public le bien-fondé de la démarche, un appel à candidature à projets peut être lancé, sous l’égide des ministères/secrétariats de la Mer, de la Rechercher et de l’Outre-Mer. Afin de parer aux critiques venus des territoires français ultra-marins hors Pacifique qui pourraient avoir des exigences similaires, on pourrait promouvoir l’idée que l’initiative pourra être déclinée dans les autres océans ensuite, mais avec un modèle contextualisé afin d’éviter l’effacement de la particularité de la zone Pacifique avec les autres territoires d’Outre-mer.
L’annonce de l’initiative du Conseil Permanent et du Plan Pacifique pourrait avoir lieu un 8 juin, date de la Journée mondiale des océans. Ainsi le Comité Permanent et le Plan Pacifique pourraient permettre la mise en œuvre d’un développement économique fort, à l’Océanienne, préservant la dimension coutumière, créant un nouvel équilibre dans cette zone et générant à terme une part significative de la croissance française et européenne.
Jérôme Royer,
Élu local, Maire de Jarnac de 2001 à 2014,
Résident pendant plusieurs années à Tahiti.
[1] Rupture d’un contrat de livraison de sous-marins français par l’Australie, ce pays préférant s’allier aux États- Unis. La protection et des alliances avec les États-Unis semblaient plus réconfortant devant l’avancée chinoise dans le Pacifique Sud.
[2] La vente d’énergie marine du Pacifique à l’Inde en lieu du pétrole russe ou du charbon local y contribuerait.
[3] Pour un budget de fonctionnement total annuel inférieur à 3M€ ou 0,05% du montant.