Rien ne prédisposait le petit État d’Israël à se doter d’un régime démocratique. Dans les pays de la région, les dictatures sont la norme. À sa naissance, Israël était un pays pauvre accueillant des millions de réfugiés d’Europe centrale, de Russie ou de pays arabes dépourvus d’une culture démocratique. L’État juif menacé de destruction imminente par ses voisins aurait pu choisir, en invoquant des justifications sécuritaires, de se doter d’un régime autoritaire ne laissant aucune place au pluralisme politique ni aux libertés et droits fondamentaux.

Et pourtant, les pionniers étaient bien décidés de construire un pays dans lequel ses habitants connaîtraient tout ce dont ils avaient été privés. Les Juifs de diaspora émigraient en masse, attirés par l’espoir de vivre enfin librement selon leurs différents modes de vie, leurs coutumes et leurs croyances. Les kibboutz aspiraient à représenter un système égalitaire idéal qui pourrait s’appliquer à la société toute entière. Et, convaincus d’être à l’abri des tentatives théocratiques et des dérives autoritaires, ils suivaient ce que Théodore Herzl avait théorisé dans son livre  «L’État des Juifs» : «Les prêtres resteront au temple et les soldats à la caserne».
Certes, dans beaucoup de domaines, de nombreux problèmes étaient loin d’être résolus mais chacun était persuadé, qu’avec le temps, les solutions apparaîtraient.

Soixante-quinze ans plus tard, Israël est devenu un pays prospère. Il est au 4ème rang des pays les plus riches de l’OCDE et au 3ème des pays les plus innovants du monde. En termes de croissance, de PIB, de maîtrise de l’inflation et de l’endettement, d’emploi, de valeur de sa monnaie, de qualité et d’espérance de vie, de création artistique et intellectuelle… tous les voyants sont au vert. Israël possède l’armée la plus puissante de la région, des alliés forts et fiables en Europe et aux États-Unis et vit en paix avec ses voisins proches : Égypte et Jordanie et plus éloignés : Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et peut-être bientôt Arabie Saoudite.
C’est donc avec stupéfaction que le monde découvre que le pays est au bord de l’implosion sociale, que les experts avertissent d’un risque d’effondrement de son économie et que 56% des Israéliens interrogés dans les sondages disent redouter une guerre civile.

Le pouvoir exploite les faiblesses institutionnelles du pays pour établir une démocratie illibérale.
 
À défaut de Constitution, l’État juif s’appuie sur sa Déclaration d’indépendance, laquelle se réfère aux prophètes d’Israël pour énoncer les principes de liberté, de justice et de paix. Il  s’est aussi doté, au cours des ans, d’un corpus de quinze lois fondamentales afin d’assurer, grâce à des institutions démocratiques, à tous les citoyens du pays, sans distinction de croyance, de race ou de sexe, l’exercice de leur pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture. Tout cela sans «graver dans le marbre» jusqu’en 1992, que la démocratie serait son mode de gouvernance.
En Israël, dont le système parlementaire est monocaméral et où tout le pays représente une seule circonscription, les 120 députés accèdent à la Knesset, grâce au mode de scrutin proportionnel, en fonction des résultats obtenus par la liste sur laquelle ils figurent. Et c’est le Président de l’État qui confiera au chef du parti arrivé en tête de former le futur gouvernement à condition qu’il réussisse à fédérer une coalition majoritaire de 61 membres. Il est donc aisé de comprendre que s’étant doté d’un régime parlementaire avec une seule assemblée, il n’y a pas, comme en France, une véritable séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif.  En l’absence d’une Constitution et d’une seconde chambre, donc sans garde-fous institutionnels, seul le pouvoir judiciaire exercé par la Cour suprême, qui fait à la fois office de cour d’appel, Conseil d’Etat et Conseil constitutionnel pour le contrôle juridictionnel des décisions du gouvernement et de celui de la constitutionnalité des lois, représente un contre-pouvoir, frein à la toute-puissance du gouvernement tenté d’adopter des lois liberticides.
Après cinq élections législatives consécutives en l’espace d’un peu plus de deux ans, c’est tout le système politique et institutionnel qui est à bout de souffle.
Les Israéliens ont fini par se lasser de ces élections à répétition dues à l’instabilité des coalitions, l’incapacité de créer des majorités stables et homogènes, un scrutin à la proportionnelle qui donne le pouvoir d’exiger l’obtention de revendications exorbitantes à des micros partis ayant franchi le seuil d’éligibilité mais sans qui aucune coalition n’est viable.
L’abstentionnisme favorise la montée des partis extrémistes dont les électeurs sont plus motivés. Le désintéressement des Israéliens pour les élections et leur mépris d’une classe politique jugée incompétente, opportuniste et souvent corrompue, ont constitué le terreau de l’arrivée au pouvoir d’un parlement composé majoritairement d’élus de droite, d’extrême-droite nationaliste, messianique et raciste et de religieux fanatiques. En souhaitant réformer le système judiciaire (dispense du contrôle de la Haute cour, nomination des juges et extension des prérogatives des tribunaux religieux), les gouvernants actuels ont décidé de s’en prendre d’abord à la Cour suprême, jugée trop activiste, peu docile à leur goût et composée d’une élite qu’ils prétendent trop laïque et majoritairement d’origine occidentale (donc qui ne représente pas la totalité du peuple et surtout les électeurs des partis au  pouvoir). Ils justifient cette réforme en arguant qu’ils vont, au contraire, renforcer la démocratie en dépossédant de leurs prérogatives des juges non élus. Prétendant combattre le «gouvernement des juges», c’est une «tyrannie de la majorité» qu’ils entendent mettre en place. 
Forte de ses 64 élus lors des dernières élections, la démocratie signifie pour la coalition au pouvoir que la majorité a tous les droits y compris celui de décider de ne plus en être une. Les droits de la minorité est une notion qui lui est complètement étrangère. Quant à l’idée qu’il faille arriver à un large consensus pour faire adopter toute réforme institutionnelle, elle lui répugne et n’est vécue que comme une concession douloureuse qu’il faut faire semblant d’accorder aux alliés américains et européens dont on a encore besoin et auxquels il faut continuer de faire croire que nous possédons un socle de valeurs communes.

La tentation théocratique.

Si les pères fondateurs d’Israël n’ont jamais envisagé  de séparer l’Église de l’État comme en France, ils n’entendaient pas non plus proclamer le judaïsme religion d’État et force est de constater que la laïcité n’a cessé de progresser. La Cour suprême n’a pas hésité à s’inspirer de jurisprudences occidentales : américaines quant à la liberté et européenne quant à la dignité humaine, en laïcisant toujours plus la vie publique ces dernières années et en préservant celle des institutions. «Israël est donc bel et bien un État laïque ne reproduisant aucun modèle connu de relations entre religion et État, qui pour des raisons de paix civile, liées en partie à la nature composite de sa population, a accepté d’abandonner des pans entiers de sa juridiction aux tribunaux religieux» (Démocratie et religion en Israël – Michel Abitbol). Les Israéliens dans leur ensemble, des plus religieux, par désir d’observer rigoureusement les commandements de la Torah aux plus laïques, attachés par leur histoire et leur identité à la foi de leurs ancêtres, tous ont accepté ce modus vivendi tant que prévalait le précepte du «vivre et laisser vivre».
Tandis que le terme « démocratie» n’apparait pas dans la Déclaration d’indépendance, le mot « juif » y figure 8 fois. Ce n’est que dans la loi fondamentale de 1992 que l’expression : «État Juif et démocratique» est entérinée. Hélas, l’heure n’est plus aux discussions byzantines sur le fait de savoir dans quel ordre il faut placer les deux qualificatifs et comment en définir clairement les concepts. Pour les plus extrémistes et religieux des élus, qu’ils soient ministres ou membres de la Knesset, la démocratie est un mode de gouvernance opposé à la conception qu’ils se font du judaïsme.
Pas un jour sans que de nouveaux projets ou propositions de loi ne soient déposés qui portent atteinte aux droits des minorités, entendent restreindre ceux de la communauté LGBT, discriminent les autres communautés religieuses et chassent les femmes de l’espace public en prônant une séparation rigoureuse des sexes alors que le rapport SIGI (Indicateur de discrimination à l’égard du genre) attribue à Israël la dernière place en matière d’égalité des sexes parmi les pays de l’OCDE et que seulement 29 femmes sur 120 députés ont été élues à la Knesset.
Dans le même temps, le gouvernement dilapide les caisses de l’État pour accorder des subventions exorbitantes aux ultra-orthodoxes et aux nationaux-religieux résidant dans les colonies au détriment de la minorité arabe et surtout des libéraux traditionnalistes ou laïques qui constituent les forces les plus vives et les plus productives de la Nation. 

La grande erreur de Benjamin Netanyahou.

Le Premier ministre qui a bâti sa réputation de fin économiste sans qui le pays ne serait pas devenu la «start-up nation», ne tient plus compte des signaux d’alarme que lui envoient ses propres experts et les agences de notation sur les risques de dégradation de la situation économique du pays : ralentissement de la production économique et éventuelle dégradation de la cote de crédit, instabilité des marchés financiers, baisse du shekel, chute des investissements en capital-risque dans les entreprises technologiques tandis que 80% des nouvelles start-up israéliennes choisissent de s’enregistrer à l’étranger et que les start-up locales se retrouvent à court de fonds parce que la levée de capitaux au premier semestre 2023 a chuté de 73% , ce qui représente 3,2 milliards de dollars contre les 12 milliards de dollars collectés au premier semestre 2022.
Le ministère des Finances est entre les mains d’un extrémiste raciste qui gèle les fonds alloués à la communauté arabe tandis que l’argent coule à flot pour les colonies et les centres d’études ultra-orthodoxes. Peu lui chaut que l’économie s’effondre et que se creuse le déficit budgétaire puisqu’il est intimement convaincu que le pays redeviendra prospère grâce à l’intervention divine à condition que les Juifs obéissent aux commandements de la Torah.                                                                    
Le ministre de la Défense, de son côté, essaie de temporiser sur les risques sécuritaires que fait courir le refus de plus de 10 000 réservistes dont plus de 1500 appartiennent à l’armée de l’air, sans compter ceux du Renseignement militaire et des unités d’élites, de continuer à servir. Bien que les chiffres précis relèvent du «secret défense», il lui est difficile de nier la grogne d’une partie de l’armée. De plus en plus de soldats effectuant leur service militaire ou leurs périodes de réserves considèrent que le contrat avec l’Etat a été rompu et que s’ils ont prêté serment de défendre le pays, ils n’entendent pas s’engager à protéger une dictature.                                                 
Quant au ministre de la Santé, il doit composer avec les menaces de grèves des médecins qui craignent que de nouvelles lois discriminatoires ne les forcent à trahir leur déontologie. Il  essaye également de dissuader plus de 3000 d’entre eux d’aller s’installer dans des pays leur offrant de meilleures conditions de vie et d’exercice de leur profession.
Occupé essentiellement par ses problèmes avec la justice parce qu’il est poursuivi pour fraude, corruption et abus de confiance, le Premier ministre Netanyahou à la tête du gouvernement depuis 15 ans dont 12 années consécutives, n’a plus qu’une seule préoccupation : échapper à ses procès. Et pour cela, aucun prix ne sera trop élevé pour se maintenir au pouvoir y compris celui de mettre en péril ses relations privilégiées avec l’allié américain. 

L’économie et les finances, l’armée ou la santé ne sont pas les seuls secteurs qui témoignent de la crise sans précédent qui secoue tout le pays. Ils sont les révélateurs et les conséquences d’une protestation que le gouvernement n’avait pas anticipée.
Satisfait par ses multiples réélections face à une opposition divisée et une gauche réduite à sa portion congrue, Netanyahou n’a eu de cesse, pour se faire réélire, de dresser les Israéliens, les uns contre les autres : les Juifs contre les Arabes, les Orientaux «Mizrarhims» contre les Occidentaux «Ashkénazes», les nantis résidant dans  le centre du pays contre les habitants pauvres des villes en développement de la périphérie, le «peuple» contre les institutions et les «élites». Il s’est aussi persuadé de la passivité de citoyens (ceux censés être ses opposants) qui seraient devenus hédonistes, matérialistes et individualistes et qui ont fini par s’habituer à supporter avec indifférence les problèmes d’une société rongée par l’occupation, la corruption et les inégalités. Le Premier ministre était convaincu que les réformes qu’allaient entreprendre les extrémistes formant sa coalition, passeraient sans réelle contestation.                                                                                                                       
Or, ce sont des centaines de milliers d’Israéliens qui depuis 6 mois battent le pavé des principales villes du pays et se rencontrent devant la Knesset pour lui signifier leur opposition à ses réformes. Par sa durée et son ampleur, il s’agit de la protestation la plus importante de l’histoire du pays.
Contrairement à ce qu’essaye de faire croire le gouvernement, les protestataires qu’il qualifie d’«anarchistes» et de «gauchistes» se situent sur toute la palette du spectre politique. Ils sont, pour beaucoup, d’anciens électeurs du Likoud (le parti du Premier ministre), des religieux qui ne veulent pas être assimilés aux fanatiques avec qui ils ne partagent pas les mêmes valeurs ni la même définition du judaïsme, des colons persuadés que le «vivre ensemble», est encore possible, des centristes qui se seraient accommodés d’une coalition avec la droite sans Netanyahou, des électeurs de gauche avec parmi eux, les militants des ONG qui défendent les droits humains et luttent contre l’occupation et surtout, de nombreux citoyens qui n’avaient jamais manifesté et dont certains ont même arrêté de voter.
Les leaders des partis de l’opposition, s’ils prennent parfois la parole lors des manifestations, se gardent bien de toute tentative de récupération. Cela explique, en partie, pourquoi la volonté du Président de l’Etat Yitzhak Herzog, d’organiser des discussions de compromis entre le pouvoir et l’opposition, était une démarche vouée à l’échec. Les chefs des partis d’opposition savaient qu’ils n’ont pas reçu de mandat des manifestants pour faire la moindre concession aux partisans de ce qu’ils qualifient de «coup d’État judiciaire».     

Les protestataires se veulent les dépositaires des valeurs des pionniers d’Israël qui rêvaient de bâtir une Nation où le sionisme, en plus d’être la volonté de créer un État juif souverain où se rassembleraient les exilés, poursuivrait «un objectif d’ordre moral, spirituel, culturel : façonner en terre d’Israël un Juif nouveau, fort, sain et libre, à la fois particulier et universel, qui serait un exemple pour les autres nations» (Le sionisme entre idéal et réalité – Ilan Greilsammer).
Pour eux, le pays, malgré ses réussites, est encore en train de se construire.
Les institutions sont imparfaites et souffrent de défauts structurels mais, s’il faut les améliorer, seul un très large consensus permettra de le faire en adoptant une Constitution qui définira les prérogatives et leurs limites des différentes institutions dans le cadre d’une démocratie libérale.
Ils revendiquent aussi l’égalité des citoyens dans leurs droits mais aussi leurs devoirs et acceptent de moins en moins que le fardeau de la Défense ne soit porté que par une partie de la population tandis qu’une autre (les ultra-orthodoxes qui représenteront 16% de la population totale d’ici la fin de la décennie) exige d’en être dispensée.
Mais surtout, ils dénoncent les tentatives du gouvernement de porter atteinte à l’unité de la Nation. Les ministres quel que soit leur portefeuille ne poursuivent que des objectifs «sectorialistes», communautaristes et tribaux en se mettant uniquement au service de leurs propres électeurs et n’ont aucun sens du bien public et de l’intérêt général.
 
Israël vers un abîme constitutionnel, sécuritaire, social et économique

En Israël, les élections législatives ont lieu tous les quatre ans. Mais depuis 1996, les Israéliens se rendent aux urnes quasiment tous les deux ans et demi.
Il semblerait cependant que, pour cette fois, la coalition au pouvoir, malgré les pommes de discorde entre les différents partis qui la composent, ne prendra pas le risque de faire tomber le gouvernement. Elle n’y a aucun intérêt, les sondages lui prédisant une défaite cuisante en cas d’élections anticipées.
 L’époque où même les députés de la droite dure sortaient de la Knesset pour ne pas entendre les propos racistes du rabbin Méïr Kahana (le père spirituel des nationaux religieux extrémistes au pouvoir) est révolue et ses disciples ne lâcheront pas  facilement le pouvoir qui peut enfin leur permettre d’appliquer leur programme. Mais, représentant majoritairement les colons, se contenteront-ils de l’approbation du gouvernement de construire 12 855 nouveaux logements et de la légalisation de 22 nouvelles colonies depuis le début de l’année, sans compter l’attribution de très substantielles subventions alors que leurs leaders ne visent rien de moins que l’extension de la souveraineté d’Israël sur l’ensemble de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain ?
Les ultra-orthodoxes accepteront-ils de remplir leurs obligations militaires si la Cour suprême invalide la loi qu’ils entendent faire voter pour les en dispenser légalement?
Le pouvoir, dans son ensemble, se soumettra-t-il aux décisions de cette même Cour, si elle rejette toutes les lois votées par la Knesset qu’elle jugera non conformes aux lois fondamentales (et même si les gouvernants qualifient les lois qu’ils font adopter par la Knesset de lois fondamentales en pensant que la Cour ne pourra pas les invalider, ouvrant ainsi la voie à une crise constitutionnelle inédite) ?
Une guerre provoquée ou subie ? Elle ressoudera la nation tant les Israéliens sont traumatisés par les tentatives d’annihilation qu’ils ont vécues dans leur histoire mais cela ne sera que temporaire parce que les divisions sont devenues trop profondes et les points de vue irréconciliables.
La crise économique ? Le développement économique a permis l’enrichissement des plus aisés mais la «start-up nation» est aussi «la soup kitchen nation» (comme l’affirme Gilles Darmon, le Président de la plus grande ONG de lutte contre la pauvreté du pays). Avec 9,7% des familles qui sont en situation d’insécurité alimentaire sévère et 27% de la population qui vit dans la précarité, Israël est en troisième position des pays de l’OCDE ayant le taux le plus élevé de pauvreté. Et la crise qui s’annonce, n’impactera pas uniquement les foyers les plus démunis. Les classes moyennes qui commencent à en ressentir les effets, se résigneront-t-elles à les subir sans protester?
Reste pour Netanyahou l’espoir d’une usure du mouvement de protestation mais cette fois, les enjeux sont si importants et touchent si profondément l’identité nationale israélienne qu’il y a peu de chance que cela se produise.

Pendant sept décennies, les Israéliens ont réussi à vivre ensemble malgré toutes leurs différences et leurs dissensions en se créant comme Nation parce qu’ils n’ont jamais douté que le projet sioniste et la défense de tous les citoyens, perçus comme des frères, étaient des valeurs qui méritaient qu’on puisse donner sa vie pour elles.
Il n’aura fallu que quelques mois pour que le petit État juif pluraliste et libéral, si fier de ses réussites et qui se percevait comme à la pointe de la modernité ne bascule. Les gouvernants aujourd’hui au pouvoir ont ouvert la boite de Pandore de l’obscurantisme et de ses corollaires en confortant les ennemis extérieurs du pays sur le fait qu’il n’y aura peut-être pas besoin de vaincre Israël militairement pour le voir s’effondrer.
En cas d’obstination des gouvernants, la protestation prendra-t-elle des formes plus radicales tandis que certains de ses leaders envisagent une paralysie générale du pays, une grève des impôts quand ce n’est pas l’appel à l’insoumission envoyé aux jeunes recrues ? Irons-nous jusqu’à la guerre civile si le pouvoir refuse de se conformer aux décisions de la Cour suprême ?
Si les plus optimistes des contestataires pensent qu’ils finiront par gagner; en cas d’échec, certains d’entre eux choisiront «l’exil intérieur» (pour reprendre l’expression du politiste Denis Charbit) en attendant des jours meilleurs tandis que d’autres, de plus en plus nombreux, songent à quitter le pays.
Jamais Israël n’aura été autant en danger mais cette fois-ci, ce sont ses divisions et ses démons intérieurs qui représentent sa plus grande menace, non pas existentielle mais celle de son identité et de son avenir au sein de la communauté des nations démocratiques.    

Elizabeth Garreault, franco-israélienne, diplômée en droit et science politique, conseillère des Français de l’étranger de 2014 à 2021, militante au parti Meretz 

Crédits Photo Marco Sarrabia

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