Un entretien avec le Sénateur de Paris Rémi Féraud, rapporteur spécial du Budget.
Le Projet de Loi Finances pour 2024 adopté par le Parlement vient de faire l’objet d’une suppression de crédits par le décret ministériel 2024-124. Quelle est votre analyse en termes techniques sur la méthode choisie ? Et en termes budgétaires ?
En termes de méthode, le décret ministériel du 21 février dernier annulant 10 milliards d’euros de crédits de paiement et d’autorisations d’engagement pose problème à plusieurs titres :
En présentant sur l’ensemble du budget de l’État un montant d’annulation de crédits juste en-dessous du seuil obligeant à une saisine du Parlement, le gouvernement empêche le débat démocratique.
Pire, le contrôle sur place et sur pièces réalisé par la commission des finances jeudi 22 mars a montré que l’exécutif connaissait la dégradation des comptes publics depuis octobre et n’a pas communiqué ces chiffres au Parlement, pas plus qu’il n’a intégré ce nouveau contexte budgétaire dans le projet de loi de finances à l’automne, alors qu’il en avait le temps et les moyens. Le gouvernement a donc sciemment dissimulé les mauvaises prévisions économiques et budgétaires dont il avait connaissance depuis des mois.
Cette situation très mauvaise des finances publiques était prévisible et nous la dénonçons depuis des années : elle est entre autres la conséquence de l’ensemble des baisses d’impôts à commencer par les cadeaux fiscaux accordés depuis 2017 aux grandes entreprises et à nos concitoyens les plus aisés, sans condition ni contrepartie. En conséquence, c’est notre pacte social qui est remis en cause par les coupes budgétaires ciblant prioritairement l’école, la santé, les collectivités territoriales, la transition écologique, la culture ou la recherche, mais aussi un ministère comme celui des les Affaires étrangères.
Ce « rabot » budgétaire sera lourd de conséquences puisqu’il fragilisera d’abord celles et ceux qui subissent déjà une conjoncture économique et sociale difficile et ne permettra pas de relever les défis devant nous.
Les hausses de budget des années précédentes permettent-elles de justifier cette décision budgétairement et de limiter les impacts des nouvelles économies ?
La Cour des Comptes et le gouvernement estiment les économies nécessaires à un rétablissement des comptes publics à 50 milliards d’euros, répartis sur plusieurs années. Ce chiffre correspond au montant des pertes annuelles de recettes générées par les baisses d’impôts consenties depuis 2017 : suppression de l’ISF, baisse des impôts de production, rétablissement de la « flat tax » sur les revenus du capital, suppression de la taxe d’habitation et de la redevance télé…
Le gouvernement ne peut donc s’en prendre qu’à lui-même et les hausses de certains budgets des années précédentes, nécessaires et pour certaines missions estimées insuffisantes, ne sauraient justifier le coup de rabot du mois dernier. Celui-ci résulte de l’échec de la politique gouvernementale, de l’entêtement idéologique à ne pas vouloir faire contribuer plus ceux qui le peuvent et il aura un impact sur le bon fonctionnement des politiques publiques.
Quels impacts peut-on craindre ou constater pour les programmes qui concernent particulièrement les Français établis hors de France, les programmes 105, 151 et 185 ?+ 209 crédits francophonie
Sur la mission budgétaire « Action extérieure de l’État », qui regroupe les programmes 105, 151 et 185, ce sont 174 millions d’euros qui sont annulés en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ces annulations se répartissent de la façon suivante :
-134,5 millions d’euros sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » ;
-11,5 millions d’euros sur le programme 151 « Français à l’étranger et affaires
consulaires » ;
-28 millions d’euros sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence ». Concernant le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », inscrit dans la mission budgétaire « Aide publique au développement », 492 millions d’euros sont annulés en autorisations d’engagement et 542 millions en crédits de paiement.
Quelle est votre lecture des décisions gouvernementales pour les crédits destinés au soutien des postes consulaires et du réseau éducatif ?
Le gouvernement n’a à ce stade pas fourni de précisions concernant l’impact de ces coupes budgétaires pour chacun des programmes.
J’ai interrogé le 5 mars le ministre des comptes publics sur les conséquences des annulations de crédits sur la stratégie de recrutement du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, annoncée à l’automne dernier dans un objectif de « réarmer la diplomatie française » et notre stratégie d’influence, suite aux états généraux de la diplomatie. Le ministre m’a assuré qu’elle n’était pas remise en cause et que les engagements pris par le président de la République sur ce point n’étaient pas menacés.
Il est cependant permis d’en douter, les annulations budgétaires représentant les deux tiers de la hausse des crédits votés pour la mission « Action extérieure de l’État » à l’automne et remettant donc en cause dès la première année la trajectoire budgétaire prévue.
Après ce coup de rabot, le budget n’est plus du tout celui que nous avons voté et le Ministère devra forcément renoncer à des actions ou des recrutements. Nous devrons donc être vigilants sur les choix qui seront faits dans la mise en œuvre en cours d’année.
La trajectoire de financement des bourses scolaires pour 2024 présente-elle des
risques ?
Nous ne disposons pas à ce stade d’éléments précis concernant les conséquences des annulations de crédit, et les réponses du ministère sont pour le moins allusives.
J’interrogerai le cabinet du ministre sur cette question à l’occasion d’une prochaine rencontre.
Et comment anticiper le budget 2025 avec des annonces d’économies
supplémentaires de 20 Milliards sur le budget de la France ?
Le gouvernement a effectivement annoncé de nouvelles coupes budgétaires conséquentes pour l’année prochaine. Comme indiqué plus haut, elles cibleraient certainement en premier lieu les services publics, les collectivités territoriales, la transition écologique, mais devraient de toutes façons toucher l’ensemble des ministères et de l’action publique.
Comme sénateur socialiste et comme rapporteur de la mission budgétaire « Action extérieure de l’État », vous pouvez compter sur ma vigilance lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.
Propos recueillis par Philippe Loiseau
notes: https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049180270