La dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par le président de la République le soir même des élections européennes le 9 juin dernier, a provoqué une surprise générale, immédiatement suivie d’une mobilisation des forces politiques et citoyennes. Cette réactivité a également été à l’œuvre pour les représentants des Français de l’étranger : l’élection de leurs onze députés. Au-delà de la particularité logistique, d’organiser des élections non prévues dans un temps extrêmement contraint et avec des spécificités liées à la dispersion géographique, les résultats interrogent. Pour les décrypter, nous nous appuyons sur le texte publié par l’ancien sénateur des Français établis hors de France Jean-Yves Leconte, les travaux de notre think tank concernant la binationalité et la représentation des Français de l’étranger, ainsi que sur un entretien avec Mehdi Benlahcen, ancien élu des Français du Portugal.

L’annonce inattendue de la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place immédiate d’élections anticipées ont constitué un défi logistique pour le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, en ce qui concerne les pratiques électorales extraterritoriales. Celles-ci sont toujours techniquement compliquées et l’objet de débat en raison de leur nature multimodale et la pression n’a heureusement pas entaché leur qualité. Cependant, la participation électorale exceptionnelle rendue possible par le vote en ligne (et un recours inédit, comme au niveau national, aux procurations), fait la preuve que cette modalité de vote, qui contourne l’écueil de l’éloignement des postes diplomatiques pour l’accès aux urnes, doit être maintenue, puisqu’elle s’avère très utile tant dans des conditions normales que dans des circonstances particulières. Rappelons qu’elle a cours uniquement à l’étranger pour les élections législatives et les élections consulaires, de façon dérogatoire au droit commun électoral français. Au-delà de la commodité que cela constitue pour les citoyens, le vote par internet permettrait probablement d’amplifier la participation des Français de l’étranger aux échéances nationales et européennes, s’il était étendu. À son tour, ce changement permettrait de faire gagner les élus[1] en légitimité. D’autant que comme le note opportunément le sénateur Leconte, les choix exprimés par le vote par internet s’éloignent chaque fois davantage du vote à l’urne, ce qui permettrait de penser qu’il s’agit de type d’électeurs différents.

Dans le contexte précis de crainte de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, on peut imaginer que l’électorat des Français de l’étranger se trouve dans une position un peu particulière. Même si l’on note une progression des votes pour l’extrême droite depuis plusieurs années, votes qui émanent de nouveaux secteurs, les Français établis hors de France, de par leur situation personnelle (familles binationales, vie à l’étranger dans un contexte culturel différent, choix de vie, etc.), peuvent difficilement adhérer au modèle de société proposée par le RN et à ses propositions. Dans le cas particulier des dernières élections législatives, s’ajoutaient probablement la peur de voir le pays basculer et l’image de la France entachée. Enfin la médiatisation autour du thème de la binationalité, présentée comme dangereuse et négative, a par ailleurs favorisé le rejet du parti de Marine Le Pen[2].

Avant de scruter les résultats par circonscription, il est intéressant de revenir aux stratégies mises en place par les partis pour présenter des candidats. Tout d’abord, comme toute possibilité d’obtenir un mandat, des élections anticipées réveillent l’appétit de beaucoup, notamment ceux qui liés à la politique nationale y voient une opportunité d’investiture, dans des circonscriptions moins en dispute selon eux. À chaque élection, cet opportunisme de circonstance et d’appareils se confronte aux aspirations des élus et militants sur le terrain, forts de leur expertise des problématiques des Français de l’étranger et de leur ancrage local, voire de leur poste dans les structures des partis.[3] La question du profil des candidats et du mode de désignation par les partis de gauche ont certainement pesé sur le résultat décevant pour cette famille politique. Mehdi Benlahcen constate : « … il est d’ailleurs surprenant de voir sur la ligne de départ en 2024 quatre candidates battues en 2022. »[4]

Concernant les résultats, on note une progression constante de la gauche aux élections, confirmée dans ces législatives anticipées, avec une donnée particulière : les résultats bien meilleurs de la majorité présidentielle par rapport à la récente élection européenne pour laquelle la gauche avait nettement progressé. Jean-Yves Leconte explique ce résultat par les triangulaires particulièrement nombreuses cette fois-ci en métropole. À l’étranger, phénomène voisin : « À l’exception de la circonscription Afrique du Nord et de l’Ouest (9ème), la progression de la gauche est contrecarrée par un report de voix quasi systématique de l’ensemble des candidats de droite et d’extrême droite vers les candidats de l’ancienne majorité présidentielle, ce qui explique leur victoire (…) »[5]. Dans ce panorama, la 8ème circonscription fait comme toujours figure d’exception : alors qu’elle regroupe Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte, la Turquie, les Territoires palestiniens et Israël, ce dernier concentre tous les enjeux, pour des raisons de taille des communautés mais également par les caractéristiques de la situation politique, auxquelles s’ajoutent le profil de l’ex-député Meyer Habib ouvertement lié à Benyamin Netanyahou et le contexte après l’attaque du Hamas en octobre. Finalement la défaite d’Habib à sa réélection donne l’impression que les raisons de ses succès passés expliquent sa récente défaite.

La contre-performance de la gauche à l’étranger par rapport à la situation en France est bien sûr multifactorielle : en plus du sujet du « casting » évoqué précédemment, Mehdi Benlahcen évoque l’effet repoussoir que peut constituer l’union avec LFI auprès d’un certain électorat, la question d’un racisme sous-jacent en miroir avec l’atmosphère en France, une attitude triomphaliste de mauvais aloi, une stratégie de campagne qui interroge puisqu’au soir du 1er tour la gauche est en tête dans 5 circonscriptions sur 11 pour finalement n’obtenir qu’une seule victoire et ce dès le 1er tour (9ème circonscription). La majorité présidentielle transforme la victoire de la gauche en défaite, dans des circonstances bien différentes de 2022 : « Non seulement la gauche n’était pas présente au second tour partout (qualification ratée dans la 8ème), mais surtout elle ne gagne aucun siège de député supplémentaire. »[6]

En conclusion, on note que les choix électoraux des Français de l’étranger restent, malgré l’éloignement, « collés » au vote national, à l’exception notable de l’adhésion à l’idéologie du Rassemblement national. Pour ces échéances, ils apparaissent moins attachés aux problématiques les concernant plus particulièrement, à l’inverse de l’élection des conseillers des Français de l’étranger. Les dynamiques des Français de l’étranger constituent réellement un laboratoire d’exercice de la démocratie, de la question des droits et des obligations, de la définition de l’identité et de la binationalité, de la mobilité et de la migration. L’appartenance à la communauté nationale malgré l’extraterritorialité se nourrit de leurs exemples. Un observatoire consacré à ces compatriotes et aux sujets inhérents à leur situation qui produirait études et recommandations de politiques publiques apparait chaque fois plus indispensable.

        Florence Baillon

Nous tenons à remercier Jean-Yves Leconte et Mehdi Benlahcen d’avoir accepté de partager avec le think tank le fruit de leur réflexion, liée à leur expertise sur les communautés françaises de l’étranger.

Nous proposons à toute formation politique ou institut de recherche de procéder, avec notre aide, à un sondage auprès des électeurs de gauche sur ce qu’ils pensent du programme du Nouveau Front Populaire. A-t-il eu une influence majeure sur le vote ? La dimension « politique générale »/barrage au RN est peut-être essentielle mais les points spécifiques du programme largement construit par LFI l’ont-ils été ?

Résultats de la gauche à l’étranger aux élections législatives anticipées de 2024 (source MEAE tableau reconstitué par Mehdi Benlahcen)

Tableau 1, récapitulatif des deux élections 2024


Tableau 2, détails élections européennes 2024

[1] Voir notre étude : https://lafranceetlemonde.org/2013-2023-regards-sur-la-representation-politique-des-francais-etablis-hors-de-france/

[2] Voir notre étude : https://www.jean-jaures.org/publication/2013-2023-regards-sur-la-representation-politique-des-francais-etablis-hors-de-france/

[3] Voir sur ce sujet le livre de Boris Faure, documenté par son expérience personnelle : Coups de casque, essai sur la violence en politique, éditions VA Press, 2022.

[4] Entretien avec Mehdi Benlahcen

[5]https://jeanyvesleconte.wordpress.com/2024/07/23/les-legislatives-anticipees-de-2024-aupres-des-francais-etablis-hors-de-france/

[6] Entretien avec Mehdi Ben Lahcen.

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