Pour qualifier ceux qui ont quitté leur pays et gardent des liens avec lui, le terme de diasporaest, depuis les années 1990, largement utilisé en particulier dans la littérature anglo-saxonne. L’est-il pour les Français émigrés, alors que l’appellation officielle « Français établis hors de France », de même que celles plus courantes de « Français de l’étranger » ou « Français résidant à l’étranger », illustrent la tension entre la nationalité et le territoire ?

 Une diaspora renvoie à un « ensemble de pratiques dans lesquelles l’identification avec la mère-patrie est à la base de l’organisation des activités culturelles, économiques, sociales qui traversent les frontières nationales »[1]. Ce terme permet d’inclure comme membre d’une diasporaparticulière, ceux qui se considèrent non seulement comme des nationaux et des binationaux vivant à l’étranger mais aussi des personnes originaires du pays concerné qui en ont perdu la nationalité[2]. Les spécificités des politiques développées par les États d’origine, tels que le Portugal, la Grèce, les Caraïbes, les Philippines, Haïti, pour prendre en compte ces populations, ont été mises en évidence[3]. Notre travail sur la construction de la catégorie politique de Français de l’étranger porte sur le lien issu d’un processus social et politique formalisé par le droit, et à son appropriation par ces Français[4]. Il s’agit donc d’une population de nationalité française, et des binationaux dont l’une des nationalités est française, puisque cette nationalité est génératrice du processus. Ce rapport consubstantiel explique que le terme de « diaspora » ne soit pas employé par le corpus rencontré lors de cette étude qu’il s’agisse des résidents à l’étranger, des élus les représentant ou des diplomates.

L’utilisation de ce terme pour s’adresser aussi à des groupes d’origine française sans en posséder la nationalité afin de développer des politiques économiques et culturelles serait un signe d’inflexion.

Au fil du temps cette participation à deux univers nationaux a évolué. Elle concernait d’abord l’exil de peuples lié à des problèmes politiques et économiques. Dans le monde actuel ces migrants sont qualifiés de transmigrants car leur vie quotidienne passe par le maintien d’interactions transfrontières[5]. Ces interactions avec les personnes qui ne partagent pas le même espace physique s’appuient sur des flux de divers ordres[6] ; les informations disponibles dans un monde interconnecté contribuent à les amplifier. Mais ces flux qui caractérisent l’ère de la globalisation peuvent se combiner avec des pratiques sociales qui leur étaient antérieures, donnant lieu à une « stratification qui fait la richesse des formes culturelles contemporaines »[7] .

Les Français de l’étranger s’inscrivent dans ce mouvement en combinant pratiques locales et transnationales. Les premières sont-elles mêmes doubles, dématérialisées elles sont complétées à une fréquence moindre par des voyages en France. Les relations locales avec des compatriotes complètent ce transnationalisme.

Ces échanges ont une dimension politique car les débats longtemps considérés comme exclus à l’étranger ne le sont plus. Des demandes spécifiques sont exprimées par ces Français sous des formes locales et transnationales, aux quatre niveaux des élus qui les représentent : députés, sénateurs, conseilleurs à l’Assemblée des Français de l’étranger. Ceux-ci les portent en combinant relations en face à face et dématérialisées. Trouver un équilibre entre ces deux types de pratiques est au cœur de leurs activités. Ainsi comme celles de leurs électeurs elles sont marquées par la stratification des pratiques liées à la globalisation.

L’ extériorité territoriale de ces Français  fait que  les formes  de ces liens politiques différent de celles en vigueur en France.

Marie-Christine PELTIER-CHARRIER

Docteure en anthropologie sociale, chercheures associée au Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) (CNRS EHESS)


[1] Friedman, Jonathan 2003, “Globalization , dis-integration , re-organization” , p.9inFriedman, Jonathan (ed) Globalization, The state and violence , Walnut creek , CA, Alta Mira Press, p.1-34.

[2] Collyer, Michael, 2013,Locating and narrating emigration nations” p. 7 .in Collyer, Michael(ed)

 Emigrations nations policies and ideologies of emigrant engagement , New York ,Palgrave Macmillan.

[3] Glick–Schiller, Nina , Basch, Linda, Szanton- Blanc, Cristina, 1995, “ From immigrant to transmigrant, theorizing transnational migration”, in Anthropological quarterly, volume 68.

[4] Peltier-Charrier, Marie– Christine , 2021, “Les Français de l’ étranger comme catégorie politique“, Paris, Lextenso.

[5] Basch, Linda , Glick Schiller, Nina, Szanton-Blanc,Cristina, 1993,Transantional project postcolonial predicaments and deterritorialized nation- states, Londres , Routledge.

[6] Appadurai, Arjun, 2005 , Après le colonialisme , les conséquences culturelles de la globalization, Paris, Payot & Rivages p.70.

 [7]Ibid., Préface de Abélès, Marc, p.14.

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