Dans Les Échos (7/11/2016), Béatrice Collin « explique que l’avantage compétitif acquis sur le marché français ne l’est pas forcément à l’étranger ». Pour l’international, elle met en avant les 4 C : les clients, les concurrents, les coûts et la culture du pays cible. Cet article va se pencher sur l’importance de la culture d’un pays cible, en l’occurrence celle de Singapour, pour toute démarche d’implantation économique et sociale.

Comprendre la culture et le pays dans lequel l’on compte s’implanter ne se limite pas à une description succincte de la population (nombre d’habitants, moyenne d’âge, PIB, niveau d’éducation etc.). Cela exige de bien comprendre la manière dont une population se comporte, la manière dont elle pense et interagit. Dans ce domaine, peu d’informations semblent être disponibles aux entreprises étrangères et à leurs ressortissants. La plupart des personnes faisant des démarches à Singapour, ou s’y implantant pour y travailler, passent à côté d’éléments essentiels ou mettent des années à les entrevoir et d’autres à les comprendre.

De quels éléments s’agit-il ?

  • Il s’agit de comprendre que la culture économique et commerciale de Singapour est intrinsèquement liée à son histoire et aux principaux acteurs qui l’habitent. De plus, comme l’entreprise va devoir recruter et composer avec la population locale (politique de quotas avec limitation des visas de travail pour les étrangers), il sera très important d’être bien renseigné.
  • Les informations dont auraient besoin les entreprises, et qui à notre connaissance ne figurent nulle part, portent sur la vulnérabilité historique de Singapour. De cette vulnérabilité originelle résulte une vision économique et politique très particulière.
  • De là découle également la culture de travail de la population, ainsi que ses principaux idéaux. Ces informations fondamentales permettront d’éviter de possibles faux-pas ou malentendus. Cela aidera également à créer ou étoffer un réseau sur place.
  1. VULNERABILITE & VIABILITE[1]

Pour bien comprendre la force de Singapour, il convient d’en saisir la vulnérabilité et donc la problématique de sa viabilité. Celle-ci résulte de facteurs historiques et géopolitiques déterminants. À commencer par l’indépendance soudaine (imposée par la Malaisie) de Singapour en 1965. Lee Kuan Yew alors Premier Ministre ne croit pas à sa viabilité, et redoute des voisins potentiellement agressifs (Malaisie, Indonésie). Albert Winsemius (économiste néerlandais) est à l’époque l’un des rares experts prêt à parier sur son succès.

Singapour étant un État jeune (57 ans en 2022), toute la population est sensible à cette vulnérabilité originelle ; elle montre une certaine soumission et un fort nationalisme.

La population est par défaut au service de la nation qui planifie tous les secteurs de l’activité économique sur le court, moyen et long terme. Il s’ensuit un très grand respect pour la génération des « seniors » (valeur confucianiste par excellence) qui a bâti en un temps record, et à la sueur de leur front, la puissance économique que nous connaissons aujourd’hui.

Cette obligation de survie est donc très forte dans la psyché nationale, et il sera important de comprendre qu’elle dominera toute relation avec l’étranger, les étrangers. Les étrangers qui vivent à Singapour (23% de la population en 2018). Les initiatives purement économiques (unilatérale) ne sont pas vouées à recevoir l’attention sincère des Singapouriens. En revanche, les collaborations avec les entreprises locales et les instances gouvernementales le sont.

  • DÉPENDANCE

Singapour, qui dispose de très peu de ressources naturelles, dépend très largement de ses voisins de l’ASEAN (Association de l’Asie du sud-est). Tout d’abord la Malaisie qui fournit Singapour en eau (non potable) et en toute sorte de produits (industriels, alimentaires…). Le reste arrive, en très grande quantité, de pays comme la Thaïlande, l’Australie, et l’Indonésie.

Singapour est donc tributaire de la stabilité politique régionale, elle-même remise en cause par de nouveaux événements comme l’élection inattendue de Mahatir Mohamad en Malaisie en 2018 à l’âge de 93 ans. De plus, la cite-État est tributaire des relations sino-américaines et de sa forte dépendance à la Chine.

Pour les entreprises étrangères, il s’agira alors de saisir qu’elles vont être sujettes aux aléas auxquels la cité-État est elle-même soumise.

  • RÉPERCUSSIONS ÉCONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIÉTALES

La stabilité politique de Singapour, de même que son essor économique résultent donc de ce désir impérieux et vital de faire face aux dangers internes et externes. Soulignons la longévité du gouvernement avec le même parti au pouvoir (le PAP) depuis l’indépendance de Singapour en 1965.

En conséquence de quoi Singapour a su créer un environnement favorable à la confiance et aux investissements étrangers. Une série d’incitations ont été mises en place, résumées par Régnier (Open Book Edition, 1987, Chapitre II, para. 16, 2017) comme le maintien du statut de port libre, le libre-échange, l’absence de contrôle des changes, les exemptions fiscales, le soutien aux exportations, le développement des infrastructures de transport et de communication, les plans de formation et d’éducation…

De ce fait, la société singapourienne est dévouée et subordonnée à la planification étatique qui, œuvre à la survie et prospérité de Singapour.

  • CULTURE DE TRAVAIL

La première mise en garde serait de se méfier des apparences. Les Singapourien parlant tous anglais, et comprenant très bien la manière de penser et d’agir des Occidentaux (colonie britannique de 1824 à 1942), ils ont une très grande capacité d’adaptation aux interlocuteurs étrangers, surtout européens. 

L’interlocuteur étranger devra être capable de naviguer aisément parmi tous les groupes ethniques[2] (culturels et religieux) qui composent Singapour, et faire preuve d’une grande ouverture d’esprit.

Les valeurs qui unissent la population sont la nation, la famille, les études, le travail et l’argent. Le respect de l’ordre, du devoir, du savoir, de l’expérience, de la discipline et de la réussite sociale sont de mise à Singapour. L’employeur étranger doit s’attendre à des employés très compétitifs, désireux d’apprendre et de monter les échelons rapidement.

Sur le plan humain, les limites à Singapour sont 1. Le manque de personnes qualifiées dans le secteur des technologies et des industries de pointe ; 2. Le possible manque de créativité dû à un système éducatif élitiste rigide et à un système politique paternaliste.

LA PRÉSENCE DE L’EDB – ECONOMIC DEVELOPMENT BOARD

Il convient à présent de nous pencher sur les instances gouvernementales qui facilitent l’implantation des entreprises étrangères à Singapour, en vue d’investissements étrangers (IDE). Le « tout-puissant » Economic Development Board (EDB) est l’organisme qui mérite notre attention[3]. Il est à noter que parfois même, le gouvernement paye les salaires des employés singapouriens dans certaines industries.

L’EDB a été créé en 1961 suite à une étude rendue par l’économiste néerlandais Albert Winsemius aux Nations Unies, soit 4 ans avant l’indépendance de Singapour. Son rôle était alors de proposer un plan d’industrialisation compréhensif pour assurer du travail et des outils de formation à la population locale.

Fort d’un capital de US$100 millions à sa création, l’EDB s’organise alors en 4 divisions :

1) promotion de l’investissement pour attirer les entrepreneurs locaux et étrangers

2) financement des investissements et des prêts 

3) service de projets et consultation technique pour évaluer la pertinence et la viabilité économique des projets sélectionnés 

4) développement de parcs industriels venant soutenir l’activité promue.[4]

L’EDB est rattaché au Ministère du Commerce et de l’Industrie (Ministry of Trade and Industry ou MTI). Aujourd’hui, l’EDB œuvre comme le conseil statutaire du gouvernement singapourien. L’Agence planifie et exécute des stratégies faisant de Singapour un centre mondial de premier plan pour les affaires et les investissements.

Les secteurs de prédilection de l’EDB sont : l’aérospatiale, les industries créatives, le secteur de l’énergie et de la chimie, la logistique et la chaîne d’approvisionnement, les biens de consommation, les technologies médicales, la pharmaceutique, la biotechnologie, les services professionnels, l’électronique, les technologies de l’information, la pétrochimie et le gaz naturel, les ressources naturelles, l’ingénierie de précision, les solutions urbaines et durables.

Ces secteurs industriels définissent très clairement des axes prioritaires, même si la liste est non exclusive et peut montrer des variations. Dans ces domaines d’activité, il sera opportun de peaufiner son positionnement afin de bénéficier d’un terrain favorable, comme des subventions ou autres avantages intéressants. Il faudra donc avoir été bien renseigné et anticiper le cours des négociations.

L’ambition de l’EDB se caractérise également par sa force de frappe (quelques 700 salariés) et ses nombreux bureaux à l’étranger dans des endroits considérés comme stratégiques : États-Unis (5), Chine (3), France (1), Allemagne (1), Pays-Bas (1), Suisse (1), Suède (1), Corée du Sud (1), Japon (1), Inde (1), Indonésie (1) et Brésil (1).

Quant à apprécier l’influence exacte de l’EDB dans l’implantation des entreprises étrangères à Singapour, rien ne transparaît. Aucune information non plus sur les méthodes en dehors du discours officiel. La recette reste secrète et bien gardée, d’autres pays s’efforçant sans aucun doute d’être tout aussi compétitifs.

L’organisme se présente en toute simplicité comme un intermédiaire bien renseigné. Pourtant, la projection de 32,814 nouvelles créations d’emplois en 2019 (résultat direct des S$15.5 milliards d’IDE) est révélatrice de l’efficacité indiscutable de l’Agence gouvernementale.[5]

Extrait du Mémoire de fin d’étude d’Isabelle Malique-Park (sous la direction de Béatrice Collin), Executive Master en Commerce International obtenu en 2021, ESCP

ANNEXE : QUELQUES SCHEMAS INCITATIFS DE l’EDB

• le programme de déduction fiscale pour les investisseurs providentiels qui est disponible pour les investisseurs providentiels dans des sociétés éligibles ;

• la double déduction fiscale pour l’internationalisation en vertu de laquelle les entreprises peuvent réclamer 20 % du développement du marché international imposé;

• le Fund Management Incentive qui est accordé aux sociétés de gestion de fonds sous la forme d’un abattement fiscal de 5 % pendant 10 ans maximum ;

• le programme Global Trader dans le cadre duquel les entreprises peuvent obtenir une déduction de l’impôt sur les sociétés de 5 % à 10 % pour des revenus commerciaux spécifiques pendant des périodes de 3 à 5 ans ;

• la Section 13H Tax Incentive en vertu de laquelle les sociétés de gestion de fonds peuvent obtenir un allégement fiscal de 0 % pendant 10 ans maximum.


[1] CP. Régnier dans Singapour et son environnement régional, Graduate Institute Publications, Open Edition Books, 1987

[2] 1. Les Chinois (77% de la population), bouddhistes ou chrétiens constitués de groupes ethniques variés tels que Hokkien, Cantonais, Fukien, Hakka.

2. Les Malais (natifs), musulmans.

3. Les Indiens (tamouls pour la plupart et hindouistes, avec minorité d’Indiens musulmans et de sikhs).

 

[4] https://eresources.nlb.gov.sg/infopedia/articles/SIP_2018-01-08_135544.html

[5] https://www.straitstimes.com/business/economy/60-70-of-jobs-created-by-new-investments-in-2019-will-be-in-pmet-roles-edb

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