L’Assemblée des Français de l’Étranger[1] est l’instance interlocutrice du gouvernement sur la situation des Français établis hors de France et les politiques conduites à leur égard. Ses 90 membres, élus par et parmi les conseillers et conseillères des Français de l’étranger, siègent en deux sessions annuelles qui permettent de travailler en transversalité tous les grands thèmes que les conseillers et conseillères des Français établis hors de France rencontrent sur le terrain. La 39e session de  l’Assemblée des Français de l’Étranger vient de se tenir du 23 au 27 octobre à Paris. Regard sur quelques sujets…

Touchés souvent de plein fouet par les crises de toutes sortes, les Français établis hors de France peuvent vivre dans leur pays d’accueil au cœur des drames. On pense aujourd’hui au Moyen-Orient, depuis les attaques terroristes du Hamas sur les populations israéliennes et de la région le 7 octobre. L’AFE a rendu hommage aux victimes en Israël, dans la Bande de Gaza et a eu une pensée pour les otages et leurs familles. Les élus des Français d’Israël et des territoires palestiniens ont rendu compte de leur engagement sur place, de leurs interventions pour que les rapatriements n’abandonnent personne.  En Ukraine, les compatriotes ont en majorité quitté le pays.

L’AFE pu également écouter la conférence passionnante de Madame Sophie Szopa (université Paris-Saclay, en charge du développement durable) sur le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC[2]). Ce rapport « synthétise les connaissances scientifiques actuelles sur le changement climatique, les mesures possibles pour l’atténuer et s’y adapter ». Il constituera la base principale pour le bilan de l’Accord de Paris lors de la COP28 à Dubaï à la fin de l’année.

En pleine discussion budgétaire au Parlement, l’AFE a examiné les programmes dédiés aux actions extérieures de la France.

Et tout d’abord la situation du réseau scolaire français à l’étranger dépendant de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger[3]. Ce réseau comptait à la rentrée 2023 580 établissements homologués et 390 941 élèves (+ 0,86% par rapport à 2022). La situation financière de l’Aefe resterait « solide, avec une augmentation de la subvention de l’État et un bon dynamisme des ressources propres (+3,4%) » mais, comme l’a souligné la directrice, le Parlement doit encore adopter le PLF. L’Assemblée nationale vient de le faire début novembre par recours à l’article 49.3. Le Sénat va s’en saisir vite.

Pour ce qui est des recettes de l’AEFE, la subvention 2024 pour charge de service public de l’Aefe, c’est à dire sa subvention de l’État, serait de 455 M€ en prévision d’exécution (+1,8% par rapport au PLF 2023). Le retour de l’inflation au niveau international et les effets de change des monnaies par rapport à l’euro risquent néanmoins d’impacter les politiques de l’Aefe en menaçant ses budgets. Parmi ces recettes citons les ressources propres, que constituent les frais de scolarité payés par les familles, les remontées des établissements, les contributions de solidarité, pour un total d’environ 608 Millions d’euros. Pour 2023, le budget de l’Aefe est 1,166 Milliard d’euros. Constat confirmé : L’Aefe est toujours majoritairement financée par ses fonds propres, les aides de l’État correspondant à 48% de son budget en 2023 (pour 2024 : 47%).

Pour ce qui est des dépenses, le fonctionnement s’élève à 190 M€ en 2023. Les coûts de personnels sont de 838 M€ en 2023, et 864 prévus en 2024. En termes d’emplois, 4 347 personnels détachés (4 362 en budget initial 2023) et 896 personnels expatriés (850 en budget initial 2023), 4 848 personnels recrutés locaux – des établissements en gestion directe – permettent au réseau de fonctionner. On ne comptabilise pas ici complètement les établissements conventionnés ou partenaires, qui sont hors budget Aefe. L’investissement atteint 52 M€, dont une bonne part correspond aux investissements immobiliers portés par les schémas pluriannuels de stratégie immobilière pour les établissements en gestion directe. Les projets de construction sont toujours un sujet de préoccupation, les établissements peuvent pour emprunter, faire une demande d’avance à l’agence France Trésor, mais ces avances « n’ont d’avances que le nom », affirme l’Aefe qui doit en effet produire des factures pour y accéder ; or, « les établissements en gestion directe sont du patrimoine de l’État, même s’ils se situent hors de France. Il leur faut donc des financements d’État pérennes ». Il est toujours regrettable que le gouvernement ne libère pas l’Aefe de son statut juridique d’ODAC (organismes divers d’administration centrale) qui lui interdit actuellement d’emprunter !

Ainsi, l’Assemblée des Français de l’Étranger s’interroge sur la capacité de l’Agence à faire face dans un contexte mondial inflationniste aux besoins à venir liés à la politique d’expansion du réseau définie par le gouvernement (en 2018 a été « proclamé » sans étude d’impact un plan de doublement des effectifs d’élèves en 2030, objectif qu’il faut considérer aujourd’hui comme illusoire). En effet, la hausse de quelque 8 millions d’euros (prévue au PLF) correspond au surcoût lié à une réforme des statuts des personnels détachés, la marge de manœuvre est inexistante pour assurer de forts investissements publics. L’absence de vision à moyen terme, et, comme l’ont souligné des députés, d’une loi de programmation pluriannuelle augure mal de la tenue des engagements présidentiels, quoiqu’il en coûte…

Le budget des bourses scolaires est scruté avec détail par les élus des Français de l’étranger. On ne le sait pas toujours, même à Bercy, les établissements pratiquant des écolages annuels (entre 250 et 30 000€/an, selon les pays) des bourses sur critères sociaux sont octroyées sur le budget de l’État. Pour 2024, l’enveloppe prévisionnelle est estimée à 118 M€ budgétés (avec réserve de précaution, 114 M€ sans doute utilisables). Malgré une légère hausse, il n’y a pas de prise en compte de l’inflation à ce stade et, on s’oriente vers un maintien des contributions de solidarité payées par les familles boursières à 7 points, contre 2 points précédemment. C’est la première fois que le ministère demande aux familles de contribuer à équilibrer le budget déficitaire des bourses, et cela au milieu du gué, puisque les dossiers avaient déjà été instruits par les consulats et discutés par les conseils consulaires. L’insuffisance des crédits publics risque de mettre le système en déséquilibre et de faire fuir des familles boursières qui ne peuvent plus se permettre de scolariser leurs enfants car leur reste à charge (ce qu’elles doivent payer pour compléter une bourse partielle) est trop important pour leur propre budget. Le ministre Olivier Becht a d’ailleurs indiqué que le budget des bourses « ne pourra pas suivre le rythme de l’inflation mondiale ». Où va-t-on alors ? Vers une réforme de fond ?

Une sucrerie en projet : le Pass Éducation Langue française, destiné à soutenir l’apprentissage du français par les enfants et jeunes Français établis hors de France. Une nouvelle ligne budgétaire de 1 M€ est inscrite au PLF 2024, mais les parlementaires auditionnés n’ont pu dire ce que sera son contenu, si ce n’est qu’il s’agirait de cours en ligne. On ne sait pas si ces offres numériques seront payantes pour les familles, ni qui les assurera, l’Aefe, le CNED, des opérateurs choisis par appels d’offres ? Le ministère annonce un démarrage pour le 1er trimestre 2024.

Cette annonce présentée comme une grande avancée répondant à la demande ne doit pas faire oublier que les élus, et surtout les parlementaires, doivent se battre pour défendre des budgets autrement plus importants, pour l’enseignement français et du français hors de nos frontières, sans quoi tous nos dispositifs seront un jour en péril. On ne peut raisonnablement concentrer les débats sur des projets périphériques, malgré tout leur intérêt, sans assurer l’essentiel : l’avenir de notre réseau d’enseignement de l’Aefe et de ses opérateurs associés !

Les Français établis hors de France, ce sont aussi des crédits d’aide sociale, qui sont stables depuis plusieurs années malgré le nombre croissant d’allocataires, principalement hors d’Europe. Le montant global annoncé est de 21,5 M€ pour l’action sociale. Les Centres Médicaux Sociaux restants (au nombre de 11) sont financés à hauteur de 250 000 €, la subvention d’État pour la Caisse des Français de l’Étranger[4] (CFE) est de 380 000 € et les rapatriements (sanitaires et indigence) de 800 000 €. Pour la CFE, ce montant de 380 000 € semble dérisoire comparé au coût total moyen de la « catégorie dite aidée » pour assurer les compatriotes en difficulté qui s’élève à environ 4 M€ par an. Cette somme insuffisante ne permet pas à la CFE, pourtant officiellement chargée d’une mission de service public, d’envisager une gestion pérenne des montants consacrés à la solidarité nationale.

Les Français établis hors de France sont souvent aussi des contribuables… Leur fiscalité est principalement gérée par la Direction des impôts des non-résidents[5] (DINR). Le nombre de déclarants est de 245 288. Les primo-déclarants doivent faire une déclaration papier du fait de la multiplication des fraudes détectées les années passées, notamment les déclarations massives de crédits d’impôt fictifs. La nouvelle obligation déclarative relative au patrimoine immobilier[6] était à effectuer avant le 10 août 2023 (article 1418 du code général des impôts). Les propriétaires non-résidents ont l’obligation de déclarer le statut de leur bien en France. Depuis janvier 2023, les usagers peuvent en outre adhérer au prélèvement mensuel ou à l’échéance à partir d’un compte bancaire domicilié dans la zone SEPA[7] pour le paiement des impôts locaux (taxe d’habitation secondaire, taxe foncière, etc.). C’est une évolution très positive alors qu’il fallait auparavant un compte bancaire en France ou à Monaco.

Le service public consulaire assure les démarches administratives des Français établis hors de France. Les parlementaires auditionnés par l’AFE et les élus consulaires relèvent le manque de transparence sur la répartition des emplois des différents programmes budgétaires du ministère. Pour 2023 par exemple, le parent pauvre demeure le « programme 151 » qui couvre principalement le service public consulaire, les bourses scolaires et les aides sociales. Ainsi, sur 100 emplois créés en 2023 par le ministère il n’y a eu que 18 créations nettes pour ce programme. Pour 2024, le « réarmement » des services publics consulaires ne semble pas non plus garanti, le projet de budget n’annonçant que 11 créations nettes de postes à l’étranger (7 pour les services des visas, donc pour les non-Français, 2 pour les affaires sociales et 2 pour les services de l’état civil). 7 créations de poste sont prévues en administration centrale pour développer le service France consulaire. 20 postes de renforts ponctuels relèvent d’un redéploiement de personnel donc d’une priorisation de certaines régions du monde, au détriment d’autres… En mars dernier, on nous annonçait 700 emplois temps plein supplémentaires d’ici 2027, mais sans lisibilité budgétaire. Il est facile de faire la différence entre annonces et réalité.

Le droit au compte bancaire est parfois conquis de haute lutte. De nombreux compatriotes établis hors de France ont vu leur compte bancaire français clôturé de manière unilatérale par les établissements bancaires. D’autres, notamment en fonction de leur pays de résidence, se heurtent au refus d’un compte bancaire en France. Ces décisions sont le plus souvent abusives. Le droit au compte bancaire en France est un droit[8] garanti par le droit français et européen : toute personne a droit à un compte.Un Français vivant hors deFrance qui n’a pas de compte fait une demande d’ouverture de compte dans un établissement bancaire de son choix, établissement qui peut refuser sa demande, mais qui doit fournir une lettre de refus en en précisant le motif. L’absence de réponse dans un délai de 15 jours est considérée comme un refus. L’établissement bancaire doit aussi informer le client sur la possibilité de saisir la Banque de France pour bénéficier de la procédure de droit au compte en application de l’article L312-1 du Code monétaire et financier. Cette procédure peut à présent se faire en ligne. La Banque de France désigne, dans un délai de trois jours, une banque qui devra ouvrir un compte, pour une personne physique de nationalité française ou pour une personne morale domiciliée en France. Il serait utile que nos consulats de France acceptent d’effectuer les vérifications d’identité nécessaires pour fournir un certificat en vigueur à l’établissement bancaire qui l’exige pour l’ouverture d’un compte en France. Un compte bancaire donne accès gratuitement à un ensemble de douze services bancaires de base[9].

Enfin, le réseau associatif français à l’étranger a accès à des soutiens financiers, sous conditions reprises par le Stafe : soutien au tissu associatif des Français à l’étranger. Créé dans l’urgence en 2018 pour succéder à la réserve parlementaire, il permet aux associations d’obtenir des subventions pour projets. Le budget annuel global du Stafe est de 2 M€, avec, depuis le début, une tendance confirmée à la sousconsommation des crédits qui interroge… Les crédits non utilisés (600 000 € en 2023, 700 000 € en 2022, près de 1 M€ en 2021 !) repartent dans le budget des aides sociales. Le travail associatif bénévole était plus facilement soutenu par la réserve parlementaire, même si elle avait aussi ses limites. Le Stafe reste une construction lourde à gérer pour tout le monde, demandeurs, consulats, conseils consulaires et administration centrale… mais puisqu’il en a été décidé ainsi par le ministère…

La démocratie représentative des Français établis hors de France, pour partie incarnée par l’AFE, permet l’expression des opinions et l’appropriation par ces citoyens et citoyennes du monde de droits et de devoirs sur tous les sujets qui concernent leur vie, appropriation qui est souvent un combat avec ou aux côtés de la puissance publique. Au gré des sessions plénières, les élus accompagnent ces mouvements, ou les précèdent !

Philippe Loiseau

Conseiller des Français de l’étranger pour l’Allemagne du nord
Membre de l’Assemblée des Français de l’Étranger


[1] https://www.assemblee-afe.fr/

[2] 6e rapport du giec

[3] https://www.aefe.fr/

[4] cfe categorie aidee

[5] https://www.impots.gouv.fr/une-direction-dediee-aux-non-residents-exclusively-non-residents

[6] gerer-mes-biens-immobiliers

[7] modalites-de-paiement

[8] droit au compte

[9] particuliers vos droits

Laisser un commentaire