Antoine Lissorgues, coordinateur général de Médecins du Monde Suisse au Mexique, s’occupe de superviser un programme de réduction de la violence de genre et de la promotion de la santé sexuelle et reproductive au Chiapas, ainsi qu’un programme d’accès à la santé pour les populations migrantes dans le Tabasco et le nord Chiapas. Suite à l’arrêt soudain des financements de la coopération nord-américaine, il revient sur les conséquences locales de ce changement brutal mais également sur l’impact à terme au niveau global.

La coopération internationale telle qu’elle a été pensée après la Seconde guerre mondiale ne semble plus être une priorité pour de nombreux gouvernements.

Ce sont pourtant ces gouvernements de pays qui l’avaient plébiscitée et conçue dans un monde qu’il fallait reconstruire. Force est de constater que les valeurs d’entraide, de solidarité et du vivre ensemble n’intéressent plus. La priorité nationale est maintenant le fer de lance des nouveaux dirigeants populistes qui émergent aux quatre coins du monde. Il semblerait que la santé mondiale ou encore la migration soient devenues des problématiques qui ne concernent que quelques-uns. Il n’est plus nécessaire de penser le monde ensemble et de trouver des solutions collectivement. Cet abandon d’un système, qui a pourtant démontré ses bienfaits, marque une triple sentence pour le monde.

Il faut d’abord comprendre que des millions de personnes vont être les victimes de ces coupes drastiques de l’aide internationale. La disparition de programmes de lutte contre la tuberculose, le VIH ou encore la malnutrition ne peuvent qu’engendrer la mort et accroître les inégalités. Car c’est bien ce qu’essayait de résorber la coopération internationale, une brèche devenue de plus en plus grande entre les plus riches et une masse, pourtant majoritaire, qui tente de survivre au quotidien. Dans la lutte contre l’épidémie de sida, l’assèchement des financements américains « pourrait annuler vingt années de progrès, entraînant plus de 10 millions de cas supplémentaires et 3 millions de décès liés au VIH, soit trois fois plus que 2024 », a prévenu, fin mars, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé. Par ailleurs, l’aide extérieure continue de financer le tiers des budgets de la santé en Afrique. Il ne s’agit que de quelques exemples qui mettent en exergue l’irrationalité qui caractérise ces décisions. Il serait simpliste de penser que les épidémies, le réchauffement global, les famines soient des préoccupations qui s’arrêtent aux frontières des pays.

À cela s’ajoute, une possible vague de fermeture d’ONG (Organisations Non Gouvernementales).

Ces organisations qui constituent un maillon essentiel dans la réalisation des objectifs du développement durable, mais aussi dans l’assistance humanitaire, n’ont plus vraiment le vent en poupe face aux démagogues en tout genre. Certaines ont déjà dû licencier leurs collaborateurs et mettre à l’arrêt plusieurs projets. Non seulement elles ne pourront plus palier aux déficiences de certains acteurs publics, mais leur rôle de contre-pouvoirs indépendants de l’État et du marché, pourtant essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie, se réduira comme une peau de chagrin. À moins que cette cure d’austérité n’ait pour seule finalité de ne conserver que quelques ONG dociles réduites à de simples « prestataires de services ». En fragilisant la société civile, pierre angulaire de la démocratie,
plutôt que de la renforcer, dans un contexte où celle-ci est attaquée de toutes parts, les gouvernements montrent leur vrai visage : celui du calcul perfide, de l’égoïsme et de l’intolérance. La troisième, et dernière sentence, est celle de l’uniformisation des valeurs et modes de pensée. Dans ce cas précis, elle concerne un gouvernement américain qui voudrait nous faire croire que nous vivons dans un monde où la diversité n’existe pas. Cependant, permettre la diversité de vues, d’être et d’arguments est une condition sine qua non pour une politique à la hauteur des défis et qui répond aux besoins de la population dans sa globalité. Une société ne peut répondre à ses maux que si ses membres peuvent participer à un large débat public garantissant la prise en compte des perspectives de chacun.

Cette triple peine pourrait s’appliquer au projet « d’accès à la santé pour les personnes en mobilité » de Médecins du Monde que je coordonne au Mexique. En effet, la fin abrupte du contrat qui nous liait à une agence du département d’État américain met en péril la prise en charge médicale et psychologique de milliers de migrants. En 2024 c’est quasiment 7000 personnes que nous avions pu soigner grâce à ce financement. Aujourd’hui, nous travaillons dans l’urgence pour trouver des alternatives, sinon nous laisserons sur le bord de la route des milliers de personnes qui ont commis comme seul « délit » de « rêver d’une vie meilleure ». Avec la fin de ce projet, c’est une dizaine de professionnels de la santé, convaincus et engagés, qui pourraient se retrouver sur le carreau. Loin des images d’Épinal et du romantisme qui a pu se construire autour du travailleur humanitaire, la réalité est autre, et les conditions de travail sont rudes et éprouvantes. Enfin, avec la fin de ce financement, c’est aussi une voix dans le débat le public qui disparaitra, car Médecins du Monde ne soigne pas seulement des personnes, elle soigne aussi l’injustice.

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