Le 07 mars dernier, s’est déroulée à la Maison du Barreau de Paris, une table ronde intitulée « Les déplacements illicites d’enfants – Regards croisés et pratiques entre la France et les pays d’Amérique latine » à l’initiative de Patricia Cuba-Sichler, avocate auprès des barreaux de Paris et Lima, en sa qualité de co-responsable de la commission Amérique latine (forum de discussion et partage des sujets juridiques d’actualité intéressant à la fois les avocats du Barreau de Paris, français et latino-américains).

Les participantes étaient Anne Dupuy, première vice-présidente auprès du Tribunal judiciaire de Paris et coordinatrice du pôle famille, Chloé Terraube, magistrate du Département de l’entraide, du droit international privé et européen du Ministère de la Justice, en charge de la coopération avec le Pérou et l’Uruguay, Laurianne Saos, magistrate du Département de l’entraide, du droit international privé et européen du Ministère de la Justice, en charge de la coopération avec l’Argentine, la Colombie et l’Equateur et Céline Mary, avocate au barreau de Paris et médiatrice en droit de la famille. Nous avons interrogé Maître Cuba-Sichler sur le sujet, en sa qualité d’organisatrice et de membre de notre think tank.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au thème des déplacements illicites d’enfants ?

Je n’ai pas vraiment cherché à m’en occuper au début. Mon activité à l’international, notamment avec des pays de la zone Amérique latine, concernait principalement le droit des affaires, de l’environnement et du commerce international. Or, les dossiers en matière de déplacements illicites, avant même la maîtrise en droit de la famille, exigent une compétence en droit international privé, une approche juridique biculturelle et un bon réseau de contacts et de confrères à l’étranger. Je pense donc que c’est mon appartenance au barreau de Lima, mon activité soutenue à l’international, combinée avec mon exercice professionnel de plus d’une vingtaine d’années en France, qui ont motivé des parents confrontés à cette problématique à me contacter et à solliciter mon intervention. C’est donc un peu par hasard, que j’ai eu mon premier dossier de déplacement illicite d’enfant, il y a quelques années déjà.

Lors de votre intervention, vous avez introduit le sujet dans le cadre de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Pourriez-vous nous rappeler les principes essentiels de cette Convention et ce qu’implique la notion « d’intérêt supérieur de l’enfant » ?

La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant a principalement pour objet de mettre fin à la voie de fait constituée par le déplacement des enfants hors du pays de « résidence habituelle » sans le consentement de tous les titulaires du « Droit de garde » (au sens de la Convention). Pour ce faire, la Convention instaure une collaboration entre les pays signataires afin d’obtenir, dans les meilleurs délais, le retour dans leur pays d’origine des enfants que l’un des parents a déplacés dans un autre pays signataire, ou que l’un des parents retient indûment dans le pays dit de « refuge ».
En effet, la Convention repose sur la notion d’« intérêt de l’enfant », défini dans le préambule comme la nécessité de : « protéger l’enfant contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicite et d’établir des procédures en vue de garantir le retour de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle ».

Il a été question à plusieurs reprises de l’application des exceptions au retour immédiat de l’enfant à son lieu de résidence habituel, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette mesure et ce qui motive qu’elle soit remise en question dans les décisions de justice ?

Les exceptions au retour sont décrites à l’article 13 de la Convention, elles portent essentiellement sur la notion de « risque grave » que le retour pourrait entraîner pour l’enfant. Il existe aussi le cas où, l’enfant lui-même, ayant un âge suffisant et une maturité appropriée pour que son avis soit pris en compte, s’y oppose. Enfin, la notion de rattachement peut jouer aussi. Parfois, soit le retard (involontaire) pris par le parent victime pour engager la demande de retour, soit la lenteur des procédures, conduisent à une insertion effective de l’enfant dans le pays dit de refuge et son retour pourrait compromettre son équilibre ou bien être. C’est précisément l’une des circonstances où la notion d’intérêt supérieur de l’enfant va s’apprécier au cas par cas. Il est important d’agir rapidement et de façon efficace lorsqu’un parent est confronté à ce drame. Pour rappel, la Convention fixe à 16 semaines le délai dans lequel la juridiction saisie d’une demande de retour doit rendre sa décision, toutefois, ce délai est plus un objectif idéaliste qu’une réalité plausible. Par ailleurs, il est important d’éviter ou de neutraliser les tentatives des parents fautifs de vouloir transformer la procédure de retour en une procédure portant sur le droit de garde. En effet, il est important d’insister sur le fait que la décision de retour n’est en aucun cas une décision sur la résidence habituelle de l’enfant ou sur l’attribution de l’autorité parentale. Elle vise uniquement à faire cesser la voie de fait que constituent le déplacement ou la rétention illicite de l’enfant.

Dans le cadre de cette approche comparatiste, quelles sont les principales différences légales et surtout de pratiques entre pairs français et latino-américains (différences de procédures, respect des obligations, différences culturelles, relations entre la justice et les autorités, …) ?

Étant donné que la plupart des pays de la région appliquent le droit civil, continental et s’inspirent du Code Napoléon, nous retrouvons presque les mêmes institutions judiciaires et procédures connues en France. En revanche, l’exercice au quotidien, la pratique des tribunaux, des magistrats, des avocats, affectent parfois les principes et garanties qui doivent primer dans un procès équitable. Concrètement, il est courant que le parent « infracteur » invoque, dans le pays de refuge, dont il a généralement la nationalité, des violences physiques et/ou psychologiques envers l’enfant. Or, sous le prétexte de la « gravité » des faits et l’« urgence » s’agissant des mineurs, les avocats et les tribunaux, laissent de côté les exigences en matière de signification internationale, le respect des délais de distance1, etc. Plusieurs fois, j’ai été saisie par un parent « victime » qui apprend qu’il est convoqué par le tribunal étranger dans un délai extrêmement court, voire parfois lorsqu’il a déjà un jugement défavorable à son encontre, que ce soit pour des mesures de protection, des pensions alimentaires, etc.

Par ailleurs, lorsque le parent infracteur est la mère, il faut savoir que, par leur culture, les sociétés et donc les institutions latino-américaines sont plus enclines à favoriser le rôle des « mamans », notamment s’il s’agit d’un enfant en bas âge.

Le Département de l’entraide, du droit international privé et européen du Ministère de la Justice est un acteur clé du dispositif, pouvez-vous nous expliquer son rôle et son mode opératoire ?

Le Département de l’entraide, du droit international privé et européen du Ministère de la Justice (DEDIPE) est l’autorité centrale désignée par la France pour l’application de la Convention. Par conséquent, elle facilite la coopération avec les autorités compétentes de chacun des États membres de la Convention, elle agit en tant que plateforme de réception et d’envoi des demandes depuis ou vers la France. Sans retirer ce rôle de facilitateur et d’intermédiation majeur au DEDIPE, il faut préciser que, selon l’article 29 de la Convention, « la personne, l’institution ou l’organisme qui prétend qu’il y a eu une violation du droit de garde ou de visite », peut s’adresser directement aux autorités judiciaires ou administratives de l’État de refuge contractant. Ainsi, dans nos dossiers, par exemple, grâce à notre réseau dans les pays de la zone LATAM et face aux enjeux de célérité, nous avons agi directement pour la préparation, la rédaction et notamment la saisine des juridictions des demandes de retour, assurant le suivi des procédures. Cependant, l’interaction et le dialogue avec le DEDIPE est permanent et de qualité.

La médiation apparaît comme un outil qui pourrait faciliter la résolution des conflits intra-familiaux qui aboutissent parfois au déplacement illicite. Comment s’organise-t-elle en France ? quelles sont les expériences latino-américaines en la matière ?

Parmi les Principes généraux et les Guides de bonnes pratiques élaborées par le Secrétariat général de la Convention, celui destiné à assurer le respect effectif des droits de contact, insiste sur la nécessité de promouvoir les accords entre les parents, de faciliter et d’encourager la mise en œuvre des solutions convenues. La médiation offre donc une alternative intéressante à saisir, selon les cas et les instances concernées. Même si la médiation et les autres moyens alternatifs de résolution des différends sont connus et régulés en Amérique latine, je trouve que celle-ci n’offre pas les garanties suffisantes quant au respect des critères évoqués, comme c’est le cas en France. Ainsi, la seule difficulté, selon moi, est celle de pouvoir conduire une médiation, qui par la nature de l’affaire est éminemment internationale, selon les critères de confidentialité, d’impartialité et d’indépendance des médiateurs tels qu’appliqués en France. Ces principes valant également pour les autres moyens alternatifs de résolution des différends utilisés pour parvenir à un accord amiable.

Pensez-vous qu’il existe des bonnes pratiques en Amérique latine qui pourraient être reprises en France et si oui lesquelles ? (par exemple, acte notarié signé conjointement par les parents pour l’autorisation de sortie du territoire d’un des deux parents avec les enfants)

Il est vrai que la pratique de l’autorisation notariée de sortie est très répandue dans les pays de la zone Amérique latine, mais est-elle vraiment efficace ? n’est-elle pas en quelque sorte une restriction exagérée par rapport à l’autorité parentale ou le droit de garde ? Je n’ai pas une réponse exacte mais je crois que l’introduction de cette mesure ne serait pas facilement acceptée en France.  

Quelles seraient selon vous, des pistes d’amélioration applicables pour faciliter la coopération internationale dans le domaine des déplacements illicites d’enfants et ce dans l’intérêt des enfants et des familles ? Comment améliorer les relations entre juges ?

Lors de la Huitième réunion de la Commission spéciale (CS) sur le fonctionnement pratique de la Convention qui s’est tenue du 10 au 17 octobre 2023, il a été réaffirmé à l’unanimité les Conclusions & Recommandations (C&R) des précédentes réunions rassemblées dans le Document préliminaire N° 1 d’octobre 2022, intitulé « Projet de tableau des Conclusions et Recommandations des précédentes réunions de la Commission spéciale (CS) sur le fonctionnement pratique des Conventions Enlèvement d’enfants de 1980 et Protection des enfants de 1996 qui demeurent d’actualité ». Parmi les « Conclusions & Recommandations » adoptées en vue d’améliorer l’application de la Convention, il convient de citer : 1. la nécessité de résoudre le problème des retards car, selon les statistiques des États signataires, on constate une augmentation du nombre moyen de jours nécessaires pour parvenir à une décision finale, les États doivent donc adapter leurs procédures ; 2. l’application correcte de la notion d’intérêt général de l’enfant enlevé, car il est en principe dans l’intérêt supérieur de l’enfant de revenir dans l’État de sa résidence habituelle, aussi rapidement que possible, sous réserve des exceptions limitatives prévues aux articles 12, 13 et 20 de la Convention. Toutefois, on constate une augmentation de la proportion de refus de retour, et le quasi-doublement de la proportion de refus de retour fondés sur l’exception prévue à l’article 13(1)(b), à savoir, sur la notion de « risque grave ».

Enfin, concernant les relations avec les juges ou entre les juges des pays concernés, ce sont les Autorités centrales désignées qui devraient pouvoir disposer des moyens matériels et humains, pour une politique de coopération plus claire et décidée, selon les cas.

Propos recueillis par Florence Baillon


  1. Les Délais dits « de distance » font référence aux délais prolongés dont bénéficie un défendeur qui demeure à l’étranger, définis par l’article 643 du Code de procédure civile qui prévoit : « Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d’appel, d’opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de : 1. Un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ; 2. Deux mois pour celles qui demeurent à l’étranger. » ↩︎

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