Lorsqu’un Français part vivre à l’étranger pour des raisons professionnelles ou personnelles, il cherchera généralement à s’intégrer le plus possible dans son nouvel environnement. Il s’attachera aussi à transmettre la langue et la culture françaises à ses enfants, si bien que ceux-ci dans la grande majorité des cas se sentiront à la fois français et « citoyen » du pays dans lequel ils grandissent, si toutefois il s’agit d’un séjour suffisamment long. Pour les familles binationales, parfois installées depuis plusieurs générations dans le pays d’accueil, garder le lien avec la langue française et la culture française est essentiel, alors qu’ils sont fort bien intégrés là où leur histoire les a menés.

Partant de ce constat, renouvelé lors de chacune de mes rencontres avec les communautés françaises installées durablement à l’étranger, il me semble que pour mieux intégrer en France les enfants dont les parents ou les grands-parents sont venus d’ailleurs, des cours de langue et d’histoire de leur pays d’origine pourraient leur être dispensés. L’objectif est de leur rendre une identité, une fierté de leur langue et de leur culture qui leur permettra de mieux se situer dans la société française dans laquelle ils sont appelés à grandir et à trouver leur place. L’intégration ne peut se faire au détriment de l’histoire personnelle de chacun. Pour s’intégrer il faut avoir conscience d’où l’on vient. L’intégration n’est pas l’assimilation ni la dissolution dans une société, c’est l’acceptation à la fois de son origine et de l’environnement dans lequel on évolue.

D’ailleurs, ce n’est pas comme si, en France, rien n’était prévu. Le dispositif des ELCO (Enseignement de Langue et de Culture d’Origine) a été mis en place dès 1977. À cette époque, dans un contexte de regroupement familial, il était considéré que la maîtrise de la langue d’origine était un préalable à l’acquisition d’une langue seconde. En outre, la création des ELCO répondait à une obligation européenne : la directive 77/486/CEE du 25 juillet 1977 dispose en effet que « les États membres prennent, […] en coopération avec les États d’origine, les mesures appropriées en vue de promouvoir, en coordination avec l’enseignement normal, un enseignement de la langue maternelle et de la culture du pays d’origine en faveur des enfants d’immigrés issus d’un autre État membre. » Ce dispositif dépasse le cadre européen puisque des accords ont été signés avec neuf États (Croatie, Espagne, Italie, Portugal, Serbie), certains hors Europe (Algérie, Maroc, Tunisie et Turquie) et concernaient plus de 80 000 enfants en 2018. Pour être mis en place dans les classes élémentaires, ces cours, facultatifs, devaient s’intégrer dans le projet d’école, disposer d’un local et de matériel donc financé par la commune et un enseignant devait être affecté et rémunéré par les autorités du pays d’origine et son installation assuré par les autorités françaises.

Or, les ELCO, c’est fini! Ce dispositif fustigé par Emmanuel Macron comme étant un « vecteur important de séparatisme » a été remplacé à la rentrée 2020 par un autre dispositif : les EILE (Enseignement Internationaux de Langue Étrangère). Dans un discours prononcé à Mulhouse le 18 février 2020, au moment du débat sur le séparatisme, le président de la République dénonçait une « volonté de quitter la République, de ne plus en respecter les règles », mettant en avant ses exigences de lutte « contre les influences étrangères, en particulier à l’école et dans les lieux de culte ».

On peut comprendre que cet apprentissage portant sur la langue et la culture d’origine se fasse dans un cadre institutionnel pour éviter une dérive et un endoctrinement, toujours possibles. L’offre linguistique peut être différente selon les académies. Les enseignants, mis à disposition par les États partenaires doivent désormais être intégrés dans l’équipe pédagogique et ils sont rémunérés par la France. Ils doivent maîtriser le français et seront inspectés. Ce qui implique une pratique pédagogique à la française. Ce n’est pas évident, sans doute, pour un enseignant formé à une méthode différente liée à sa culture. La crainte d’une dérive religieuse peut, dans le contexte actuel, se concevoir. Mais l’enjeu se situe ailleurs. Il faut que ce dispositif soit mieux connu des familles pour qu’elles puissent en demander sa mise en place et surtout il faut lever les réticences des maires notamment et aborder cette question sans préjugés.

En effet la méfiance toujours présente face au multilinguisme, interprété comme une démonstration malvenue de capital culturel, une preuve de communautarisme ou tout simplement un refus de s’intégrer, doit être surmontée.

De même que l’on est ouvert aujourd’hui à l’enseignement des langues régionales pour des raisons identitaires et culturelles, il faut accepter que les enfants issus d’une autre culture qui grandissent dans notre pays puissent être fiers de leurs origines, ils n’en acquerront que mieux les valeurs de la République, laïque, ouverte et tolérante.

Par Claudine Lepage, ancienne sénatrice représentant les Français établis hors de France.

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